1. Raphaël dit : « Ce n’est pas toi, ami, qui as parlé ainsi, mais le Seigneur Lui-même qui t’a inspiré ce jugement, aussi doit-il bien être juste ! »
2. Murel dit aussi : « Ah, que de choses on entend ici qui ressemblent si peu à ce monde ! Et pourtant, nulle raison humaine ne pourrait rien y objecter !
Notre ennui si nous devenions tout à coup aussi sages et omniscients que Dieu, et de l’autre côté, l’ennui de Dieu dans cet état sans doute concevable où Ses créatures, Ses enfants et même Ses anges ne Le sentiraient, ne L’éprouveraient, ne L’entendraient ni ne Le verraient jamais —
ah, ce sont là véritablement deux conceptions, deux jugements qui forcent le respect d’un homme qui réfléchit vraiment ! Jamais sans doute un templier n’aura imaginé pareille chose ; et pourtant, c’est vrai !
J’ai beau réfléchir et faire des raisonnements, je ne trouve rien à objecter à cela, même si l’expression “ennui de Dieu” me paraît quelque peu étrange ! Mais j’ai beau la regarder sous toutes les coutures, elle n’en demeure pas moins juste, et fort juste ! Il me vient maintenant à l’esprit un exemple tout à fait propre à éclairer cette vérité toute neuve, et il faut que je vous le rapporte. »
3. Mathaël dit : « Parle donc, frère ! Car d’un esprit riche d’une si grande expérience, on ne peut attendre que des choses vraies, bonnes et fort utiles à notre cause ! »
4. Murel répond : « Je ne le dis pas précisément pour cela, mais pour que vous voyiez comme j’ai compris. Je m’imagine un homme qui, pourvu de toutes les sagesses, serait seul sur cette bonne terre.
Il s’ouvrirait assurément aux autres hommes en toute confiance, s’il y en avait. Il parcourt la terre dans ses moindres recoins et n’y trouve nulle créature vivante et pensante. Sa grande sagesse lui devient un fardeau ;
car rien de ce qu’il fait et crée n’est reconnu ni admiré de qui que ce soit. Dans quel état d’esprit un tel homme serait-il à la longue ? Ne serait-il pas poussé au désespoir ? Ne serait-il pas entièrement consumé par un effroyable ennui ?
5. Quel ineffable plaisir n’éprouverait-il pas s’il finissait par se trouver ne fût-ce que la plus humble des servantes ou le plus fruste des valets !
Avec quel amour ineffable traiterait-il une telle trouvaille !
6. Oh, cela montre clairement ce qu’un homme est pour l’autre, et quel bonheur il y a à faire le bien à son prochain !
7. Ne serait-ce pas un sort terrible que celui d’un homme qui, se trouvant seul sur toute la terre, n’en découvrirait pas un second pour lui faire quelque bien ?!
Oui, l’amour est un élément purement céleste de la vie, ne serait-ce que parce que l’impossibilité de se communiquer à d’autres par des actes le rend tout à fait malheureux !
8. À quoi bon pour un chanteur le son émouvant de sa voix, les accents d’une harpe bien accordée, s’il devait à jamais les entendre seul ?!
Lorsqu’un petit oiseau solitaire saute de branche en branche dans la forêt, appelant son pareil par une note plaintive et interrogative, et qu’il ne le trouve point, alors, il prend peur, se tait bien vite et, plein de tristesse, quitte au plus tôt cette forêt pour lui vide et désolée.
9. Si, même dans l’animal, il y a déjà tant d’amour qu’il recherche visiblement son pareil, combien davantage dans un homme doué d’un sentiment, d’une raison et d’un entendement profonds !
Et à quoi lui serviraient toutes ses facultés et ses talents, s’ils ne pouvaient jamais le rendre utile à un autre que lui-même ?!
10. De même, à partir de cette perception fondée, je puis supposer à bon droit — du moins selon nos concepts humains — que le Seigneur Dieu devrait bien finir par S’ennuyer effroyablement, malgré qu’il ait autour de Lui tout un infini empli des mondes les plus merveilleux,
s’il n’y avait sur ces mondes aucun être qui reconnaisse et aime Celui qui l’a créé par amour et trouve grand plaisir dans les innombrables merveilles créées par Sa sagesse, Sa puissance et Sa force.
Mais pour que celui-ci puisse Le reconnaître et L’aimer, il faut que le Créateur de la créature, que le Père de l’enfant vienne à sa rencontre et Se révèle à lui de telle manière qu’il devienne possible à la créature, et surtout à l’enfant, de reconnaître pour tel son Créateur et son Père.
11. Si cette condition n’est pas remplie, c’est en vain que Dieu a créé les anges et les hommes, ainsi que tout ce qui existe ; d’un côté comme de l’autre (en tant que Créateur comme en tant que Père), Il demeure seul, et Ses créatures, si merveilleuses soient-elles, Le connaissent aussi peu que l’herbe ne connaît le faucheur qui la coupe et la met à sécher pour en faire du foin.
12. Mais Dieu S’est constamment révélé très intelligiblement et par les voies les plus appropriées à Ses créatures douées de raison et d’entendement et aspirant à la véritable liberté de la vie, et les a préparées à Sa présente venue.
Et c’est aussi avec cette venue que toutes les promesses sont désormais accomplies ; Ses créatures Le voient, fait de chair et de sang comme elles-mêmes, Il marche parmi elles tout à fait comme un homme, et, comme leur Père éternel, leur enseigne leur grande vocation éternelle.
13. Et de cette manière, tout est donc parfaitement en ordre, il ne tient plus qu’à nous, les hommes, de mettre consciencieusement en œuvre les moyens qu’il nous a indiqués pour notre vie, et le grand double but est atteint :
l’enfant reconnaît son saint Père éternel, il Le regarde avec des yeux pleins d’amour et se réjouit de Sa présence au-delà de toute mesure ; et le Père Se réjouit Lui aussi au-delà de toute mesure de n’être plus seul désormais, mais d’être dans toute Sa lumière au milieu de Ses enfants qui Le reconnaissent, Le louent, L’aiment par-dessus tout, et ne cessent de s’étonner et d’admirer Ses œuvres merveilleuses et de chanter Sa puissance et Sa sagesse infinies !
Et cela doit bien être pour le Créateur comme pour la créature le comble de la félicité ! — N’en ai-je pas bien jugé ? » GEJ3 CH239 Chapitre premier (retour-du-christ.fr)