Conception du monde stoïque et naturaliste d’Hiram

1. Aziona répond : « Non, en vérité, je ne comprends encore rien du tout ! Comment dois-je entendre cela ? »

2. Jean dit : « Puisque tu es Juif, tu dois bien avoir entendu parler des Psaumes de David, du Cantique des Cantiques et des Lamentations du prophète Jérémie ?»

3. Aziona dit : « Oh, cela, assurément, bien que je n’en connaisse pas grand-chose et le comprenne encore moins ! »

 4. Jean dit : « Vois-tu, ce sont là des musiques et des chants spirituels, parce que les chanteurs que j’ai nommés étaient inspirés par l’esprit de Dieu ! Comprends-tu déjà mieux ? »

5. Aziona : « Eh bien, je commence sans doute à comprendre quelque chose, mais quant à y voir tout à fait clair, je suis loin de pouvoir m’en vanter ! — Et toi, Hiram, comment comprends-tu tout cela ? » 6. Hiram : « Exactement comme toi ! Il souffle sans doute ici comme un léger vent spirituel ; mais si ces chers et merveilleux amis devaient se mettre à nous chanter le Cantique des Cantiques de Salomon, je m’en irais ! Car ce chant est capable de me faire fuir comme un chamois dans les montagnes ; selon l’expression de tes amis les apothicaires, c’est bien là la quintessence de la sottise humaine, même si, par ailleurs, Salomon fut probablement l’un des plus sages rois des Juifs.

7. Je ne dirai rien des Psaumes de David ni des Lamentations de Jérémie, car il doit y avoir là beaucoup de choses fort bonnes et nobles et quantité de prophéties soigneusement voilées, peut-être à la manière de l’Iliade des Grecs, sur le Messie des Juifs censé venir un jour.

Mais c’est de la belle poésie, bien que tout cela ne cache même pas quelque chose d’aussi beau que mon rêve d’aujourd’hui, qui, lui, s’est accompli !

Les malheureux mortels se consolent comme ils peuvent, toujours avec de fort belles choses ; mais où est la réalité là-dedans ?

Elle reste toujours en route, et l’homme a beau entretenir les plus belles espérances, il trouve toujours son accomplissement ultime sous la froide terre ! Voilà l’éternelle et immuable vérité, et tout le reste retourne à la bonne vieille poussière du néant !

8. Il est vrai qu’Aziona vient de me conter des choses fort dignes de respect, et qui peuvent cacher quelque vérité mystérieuse encore inconnue de nous ;

mais depuis Moïse, Socrate et Platon, cette bonne terre a porté bien des hommes d’une grande sagesse, et que l’on aurait fort bien pu prendre pour des dieux. Ils ont à coup sûr existé, et toutes les forces de la nature leur obéissaient !

Mais ils sont pourtant devenus vieux et décrépits, et l’on a bien vu, au terme de leurs jours, qu’eux aussi n’étaient que de hommes, et ils sont retournés au même néant que les humbles mortels qui, comme nous, ne s’étaient jamais avisés de devenir quelque chose. C’est pourquoi tout est vanité en ce monde de mort !

9. On dit sans doute, un peu partout, qu’il existerait quelque part un royaume des âmes de l’au-delà ; mais où est-il, et qui n’a jamais vu une âme ou sa demeure future ?

Oui, l’on trouve partout là-dessus quantité de légendes et de mythes ! Mais, si nombreux que nous soyons ici, du moins pour ce lieu désertique et abandonné des hommes, nous n’en avons pas trouvé un seul parmi nous qui puisse affirmer avec certitude qu’il n’ait jamais vu ou seulement perçu avec quelque acuité une seule âme !

Quand une chose ne laisse pas constater son existence par tous ceux qui, en tant qu’humains, auraient pourtant quelque droit à cela, mais, la plupart du temps, uniquement par les prêtres des diverses religions et par d’autres individus de même sorte,

eh bien, un homme un peu impartial et clairvoyant n’aura pas grand mal, du moins je l’espère, à deviner pour quelle raison et pour le bien de quels dévots ces légendes et ces mythes sont nés, y compris les religions ! Tant mieux pour ceux que ces paroles en l’air apaisent et consolent un peu !

Mais nous, chers amis, nous avons vu clair dans tout cela, c’est-à-dire que nous avons parfaitement compris quelle était l’éternelle et immuable vérité,

 et c’est précisément dans la certitude de retourner bientôt à ce néant éternel et immuable que nous trouvons notre plus grande consolation et notre plus grand apaisement ; car c’est assurément dans le non-être que réside la bienheureuse paix suprême ! 

10. Si, en ce moment, nous existons, pensons et sentons, c’est bien par un jeu particulier et incompréhensible de la nature.

Les vents jouent avec les flots de la mer, et ceux-ci tempêtent, mugissent et grondent comme s’ils allaient à l’instant engloutir la terre entière avec ses montagnes ; mais bientôt, le vent tombe, et c’en est fait de la terrible puissance des flots. De même surgissent les nuages chargés d’orages terrifiants.

On croirait presque que c’est la fin du monde, et soudain, la tempête cesse de se déchaîner et le calme revient. Ainsi va le grand jeu de la Nature.

Tout passe et tout revient ; seule la grande Nature est toujours pareille à elle-même. Le soleil, la lune, les étoiles et cette terre demeurent identiques, et de même le jeu de tous les phénomènes.

11. Chers et estimables amis, vous aurez beau faire, et vous aurez beau dire, écrire et enseigner mille sages paroles, tout sera en vain ! La seule vérité permanente est celle que je viens de vous dire en toute simplicité et en tout désintéressement.

 Car c’est ce qu’enseigne aux hommes l’expérience quotidienne, cette première maîtresse de toutes les créatures sans exception, puisqu’elle appartient en propre à chacune, tout comme mes deux yeux m’appartiennent tant que je suis en vie.

Tous les autres sages et prophètes ont tiré leur sagesse et leurs connaissances de leurs prédécesseurs, cherchant à passer outre la bonne vieille expérience ; mais tout cela fut en pure perte !

Depuis le temps qu’ils sont retournés au néant de la terre, il ne reste d’eux que de vaines doctrines de sagesse et le récit de leurs hauts faits.

Seuls des esprits faibles et par trop attachés à cette vie dépourvue de sens peuvent encore prendre quelque plaisir à ces élucubrations, parfois même y trouver une futile consolation.

12. Telle est ma conception de l’existence. Si vous en avez une meilleure, dites-le, car je serais bien aise que vous ayez quelque chose de plus vrai à me dire !

Mais je sais déjà pour ainsi dire d’avance que vous ne trouverez rien de mieux ni de plus vrai, parce que cela n’existe pas et ne saurait exister. »

 13. Pierre Me demanda en secret : « Ah, Seigneur, celui-là parle un peu trop hébreu ! Vraiment, si je n’avais pas déjà vécu avec toi des choses tout aussi extraordinaires, il aurait bien été le premier à me laisser sans voix ! »

14. Je dis : « Attends un peu, car ils sont loin d’avoir tout dit, et ce sera bientôt plus difficile encore !

C’est bien pour cela que Je vous ai avertis qu’il faudrait rassembler vos forces afin de les faire changer d’idée et, ce qui est l’essentiel, de les amener à aimer la vie. Mais à présent, Jean, il faut poursuivre ! »

15. Jean dit avec quelque embarras : « Seigneur, mais alors, il faut que Tu continues à me mettre les paroles dans la bouche ; car tout à l’heure, Tu m’as laissé parler seul quelques instants, et je ne savais plus où j’en étais !

Il est vrai que je n’ai rien dit d’incongru ; mais, pour tout dire, j’ai bien vu que je m’égarais !»

16. Je dis : « Sois tranquille, Mon cher Jean ! Ce que tu as dit convenait parfaitement, car tout devait être ainsi. Tu peux donc poursuivre hardiment, et nous pourrons bientôt nous réjouir d’une très belle victoire ! »

17. Jean en fut réconforté, et il reprit aussitôt la parole, avec plus d’esprit et de hardiesse encore que précédemment. GEJ5 CH181  untitled (retour-du-christ.fr)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *