Jean dévoile la vie d’Aziona

1. Cependant, Jean lui répondit : « Ton éloquence m’étonne, ainsi que tes idées sur la vie, qui, à vrai dire, ne sont pas toutes à rejeter ; mais quand tu dis que la vie n’a absolument aucune valeur et n’est qu’un jeu de la grande Nature, en vérité, tu te trompes fort !

N’as-tu donc jamais entendu parler d’un Dieu créateur d’où naquirent le ciel, la terre et tout ce qui existe ?

Il est pourtant facile de remarquer qu’il y a un certain ordre dans tout ce qui existe : quelle finalité dans tous les membres d’un animal, et plus encore d’un homme ! Quelle n’est pas la perfection de l’œil ou de l’oreille !

2. Si tu élèves tant soit peu tes pensées, peux-tu réellement croire que tout cela n’est l’œuvre que de lois dépourvues de toute vraie vie ?!

Oh, en ce cas, tu es encore bien loin du compte, malgré toute ta sagesse supposée, et je comprends que tu trouves cette vie si méprisable et si vaine !

Avec tes compagnons, tu as certes traversé bien des pays avec des difficultés considérables, et tu as vu et appris bien des choses — mais sans jamais te soucier de la meilleure part de la vie ! 3. Au début, tu te consacrais tout entier à ton bien-être matériel.

Mais, comme il arrive parfois en ce monde, tes affaires ne marchaient guère ; car tu n’étais pas un magicien particulièrement remarquable,

et en outre trop peu pourvu de cette sagesse du siècle toute extérieure qui seule permet d’abuser comme il faut le monde à longueur de journée.

Aussi ton art, qui, comme je l’ai dit, ne valait pas grand-chose, ne te menait-il pas, malgré tous tes voyages, à ce bonheur terrestre dont tu avais tant rêvé. Et je vais encore t’en dire la raison fort simple, afin que tu comprennes que la vraie foi peut aller chercher au plus profond d’un homme ce qu’il a de plus caché.

4. Tu te rendais fort bien compte, au fond de toi-même, que tu n’étais qu’un apprenti dans ton art et dans toutes tes connaissances, et que tu ne pouvais te permettre de montrer tes tours insignifiants dans une grande ville, devant des hommes instruits, pleins d’expérience et de bon sens, alors que tu ne pouvais amasser de grandes richesses terrestres hors des grandes cités !

Aussi devais-tu sans cesse rechercher des gens assez stupides pour se laisser entortiller sans peine. Tu les trouvais parfois ; mais comme les gens stupides sont toujours les plus pauvres (*), il n’y avait là pour toi aucune perspective de gain.

(*) Réaffirmation du lien direct entre instruction et intelligence — au XIXe siècle, « stupide » et « ignorant » sont des termes presque interchangeables, en français comme en allemand. À cette équation s’ajoute ici la pauvreté, condition quasi suffisante, mais non nécessaire (voir l’exemple des Pharisiens). (N.d.T.)

5. Quand, à ton arrivée en Illyrie, tes affaires allèrent de mal en pis, tu en devins furieux. C’est alors qu’au village de Ragizan, un Grec vint te faire l’éloge d’Athènes, où il te promit des montagnes d’or. Cependant, ce Grec était un simple propriétaire de bateaux qui faisaient du cabotage vers la Grèce.

Il ne cherchait qu’à trouver des passagers pour ses bateaux vides, et se souciait bien peu de ce que tu gagnerais à Athènes.

Bref, tu t’embarquas avec ce Grec pour Athènes, où tu parvins sans encombre après un long voyage de trois semaines, et où, dès la première fois où tu t’exhibas dans cette cité classique des arts, tu fus copieusement sifflé.

6. Vous en fûtes fort dépités, toi et tes compagnons, aussi entrepris-tu de mettre à profit ton expérience en frayant avec les Grecs en qualité de sage,

et tu trouvas bientôt quantité d’auditeurs qui payaient volontiers jusqu’à plusieurs drachmes pour tes récits ; car nul n’écoute plus volontiers les récits de voyages que les Grecs, qui en sont grands amateurs.

Quand tu eus fréquenté les Grecs de cette manière pendant un temps, tu fis la connaissance d’une certaine sorte de sages qui suivaient la doctrine d’un certain Diogène.

Ils te plurent parce que, malgré leur visible pauvreté, ils étaient fort gais et pleins de bonnes choses. Il te parut étrange que des hommes vivant dans une si grande pauvreté, tenant de sages discours et toujours parfaitement sobres dans le boire et le manger, pussent être si gais et contents. Tu commenças à poser des questions sur la raison de cela, et on te l’expliqua.

7. Ayant été initiés, tes compagnons et toi, à cet enseignement selon lequel l’homme doit se satisfaire de son sort, vous résolûtes bientôt de rentrer dans votre pays d’origine, afin de vous établir dans quelque contrée déshéritée des environs de Césarée et d’y fonder une colonie de gens aussi heureux que possible, bien que pauvres.

Et c’est ainsi que vous vivez encore aujourd’hui en ce lieu où vous vous fixâtes il y a dix ans.

8. Juifs de naissance(*), vous avez abandonné la doctrine de vos pères, que vous n’aviez certes jamais vraiment pratiquée, scandalisés que vous étiez par les agissements des Pharisiens, et adopté celle de ces païens, qui vous semblait plus sage.

(*) Certains aussi sont Grecs, comme on le verra plus loin, voire tantôt Grecs, tantôt Juifs. (N.d.T.)

Mais, ce faisant, vous êtes finalement devenus complètement athées et avez remplacé Dieu par la toute-puissance de la grande Nature.

Et c’est ainsi que vous croyez avoir trouvé la pierre philosophale ?! Mais je puis t’affirmer, moi, avec la meilleure conscience du monde, que vous n’avez fait que vous en éloigner de plus en plus !

9. Puisque tu es un vrai sage, raconte-moi donc ce que j’ai fait depuis ma jeunesse, ce que j’ai appris, ce que j’étais et ce que je suis devenu à présent !

Quant à moi, je t’ai exposé sommairement, mais sans un mot qui ne soit vrai, ce qui t’est arrivé pour ainsi dire depuis ta naissance, et, si j’en avais le loisir, je pourrais ainsi te décrire par le menu toute ton existence !

Juge toi-même lequel de nous est le plus sage, moi avec ma foi qui ne laisse pas de place au doute, ou toi avec ta complète incrédulité ! » GEJ5 CH176  untitled (retour-du-christ.fr)

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