1. Zorel dit : « Ah, je veux bien qu’on me parle ainsi ! Car tes paroles semblent véritablement humaines, et ce que tu me diras ainsi en tant qu’homme et non en tant que juge, je ferai tous mes efforts pour m’y conformer.
Cher ami, je me connais bien à présent, et le noyau intérieur de ma vie ne me paraît pas vraiment des pires ; mais ma surface, elle, est mauvaise d’un bout à l’autre !
S’il m’était possible de me défaire totalement de ma chair ainsi que des parties mauvaises de l’âme qui la prolongent, et d’envelopper ce noyau intérieur de vie d’une chair meilleure, je deviendrais un homme très bien ;
mais tel qu’est constitué mon corps à présent, il n’y a rien à faire ! Je ne suis certes plus un si fieffé coquin que je l’étais auparavant ; mais je ne pourrai jamais me fier à ma chair.
Il est tout de même remarquable qu’à chacune de mes mauvaises actions, même les pires, ma volonté ne soit jamais intervenue !
À chaque fois, j’y étais entraîné comme par hasard, et il arrivait exactement le contraire de ce que je voulais en réalité ! Comment cela se fait-il ? »
2. Jean dit : « Vois-tu, la volonté de l’homme est double : la première de ces deux volontés est celle sur laquelle la connaissance de la vérité possède un pouvoir de direction et d’attraction,
celui-ci toujours assez faible ; quant à la seconde, le monde des sens et ses messages délicieusement parfumés possèdent également sur elle une force d’attraction, mais celle-ci puissamment confortée par toutes sortes d’habitudes de vie.
Dès que le monde te laisse entrevoir un bon morceau et l’occasion de t’en emparer facilement, cette puissante force d’attraction se met à tirer violemment sur la corde de la volonté de ton cœur,
et même si la force moins puissante de la connaissance du vrai se met alors elle aussi à tirer de son côté, cela ne sert pas à grand-chose, car de tout temps la force l’a emporté sur la faiblesse.
3. Pour être agissante, la volonté doit se montrer ferme et résolue et n’avoir peur de rien.
Elle doit considérer avec l’indifférence la plus stoïque et tourner en dérision tous les avantages du monde, et suivre le lumineux sentier de la vérité, fût-ce au prix de la vie du corps qu’elle habite.
C’est alors que la volonté de connaissance, qui sans cela demeure faible, devient forte et puissante et s’assujettit pleinement la volonté purement mondaine des sensations et du plaisir.
Celle-ci finit par entrer elle-même totalement dans la lumière de la volonté de connaissance, et l’homme est ainsi enfin unifié, ce qui est d’une importance capitale pour l’accomplissement de sa nature immortelle.
4. Car si tu ne peux être en accord avec toi-même et avec ta pensée, comment pourras-tu dire : “J’ai reconnu la vérité dans toute sa plénitude et sa profondeur”, si tu demeures en toi-même totalement divisé, donc toi-même un mensonge pur et simple ?
Mais le mensonge n’est rien d’autre, comparé à la vérité, que ce qu’est la plus épaisse des nuits pour le jour le plus lumineux.
Une telle nuit ne connaît pas la lumière, et un homme qui est un mensonge en soi ne peut reconnaître aucune vérité lumineuse, et c’est pourquoi, chez les hommes qui se sont trop usés en ce monde, la volonté de connaissance a si peu de force qu’elle est jetée aux orties et vaincue par la moindre traction de la volonté de jouissance mondaine.
5. Du fait que, chez beaucoup d’hommes, la volonté de jouissance en ce monde a vaincu et étouffé pour toujours la volonté de connaissance,
en sorte qu’il s’en est suivi pour eux une espèce d’unité intérieure dans l’ignorance, ces hommes sont morts en esprit et sont donc en soi des damnés qui ne pourront éternellement revenir à la lumière que lorsque leur matière grossière aura brûlé au feu allumé par leur concupiscence.
Mais la matière de l’âme a la vie bien plus dure que celle du corps, et il faut un feu très puissant pour consumer et anéantir toute cette matière de l’âme.
6. Mais comme une âme ne se soumettra pas à une purification si terriblement douloureuse par amour de la vérité ou de la lumière,
mais que, tel Protée, elle essaiera au contraire, par désir ignorant de jouissance et de pouvoir, de se soustraire à son emprise, un homme qui s’est totalement identifié en ce monde à la nuit de son existence est pour ainsi dire perdu pour l’éternité.
7. Seul l’homme qui, par sa volonté énergique et lucide de connaissance, a totalement vaincu la volonté de jouissance et s’est donc unifié intérieurement dans la lumière et la vérité, est devenu toute lumière et toute vérité, et donc la vie même.
Pour cela, comme je te l’ai dit, il faut toutefois un renoncement à soi-même véritablement stoïque — et pas seulement celui, en soi orgueilleux, de votre Diogène, qui s’estimait supérieur à un Alexandre étincelant d’or,
mais bien l’humble renoncement d’Hénoch, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Si tu es capable de cela, tu seras secouru en ce monde et éternellement ; mais si tu ne le peux pas, et ce malgré ta propre capacité de reconnaître la vérité,
c’en est fait de toi, et tu ne pourras plus être secouru, ni ici-bas, ni dans l’au-delà. Mon avis est pourtant que cela est en ton pouvoir ; car tu ne manques ni de jugement, ni de connaissance. Que t’inspire à présent ton âme en réponse à cela ? » GEJ4 CH73 GEJ4.pdf (retour-du-christ.fr)

