1. Le capitaine dit : « Seigneur, je le conçois bien, mais j’ai pourtant connu des cas où tout l’amour n’aboutit à rien ! Par exemple, j’ai eu un jour sous mes ordres un jeune soldat d’une puissance gigantesque. C’était un Illyrien. Son épée pesait cinquante livres et il la maniait aussi facilement que s’il s’était agi d’une plume !
À lui seul, il valait tous mes guerriers. Sous sa cuirasse et sous son bouclier, dans la bataille, il se démenait plus que cent autres guerriers. Il était bon à la guerre, mais non en temps de paix, où il se montrait intrigant et ne passait pas une semaine sans se donner en spectacle d’une façon détestable.
Je le prenais avec infiniment d’amour, je lui montrais aussi clairement que possible la méchanceté et l’ignominie des désordres qu’il causait et je finissais par lui interdire de recommencer son tapage.
Il me faisait la promesse de changer et se tenait tranquille pendant quelques jours, mais jamais plus de dix jours, et alors les plaintes revenaient de toutes parts, et il fallait payer les pots cassés !
Si on lui demandait ce qui pouvait bien le pousser à faire cela, il donnait toujours la même réponse en disant que pour s’exercer à l’art de la guerre, il n’épargnait rien, sauf les humains, et que son épée devait s’essayer sur divers obstacles !
2. Il n’était pas rare qu’il aille s’exercer sur des troupeaux de bœufs, de vaches ou de veaux dont il abattait la tête d’un seul coup.
Un jour, il abattit un troupeau entier d’une centaine de têtes de bœufs, après quoi il alla se vanter de ce haut fait de telle sorte que cela nous coûta un millier de grosses pièces d’argent ! Ce jour-là, cet homme me mit dans une telle colère que je l’aurais volontiers mis en pièces !
3. Je le fis enchaîner à un arbre par de lourdes chaînes et encore attacher les membres avec de grosses cordes, et je le fis fouetter pendant une heure jusqu’à ce qu’il soit pris d’une grande faiblesse. Je le fis ensuite soigner pendant vingt jours jusqu’à son complet rétablissement.
Et cet homme que tout l’amour n’avait pu corriger fut totalement transformé, il devint l’homme le plus calme et le plus modeste. Un an plus tard, j’en fis un sous-officier.
Aujourd’hui encore il me remercie de l’avoir ainsi corrigé. Jamais l’amour ne m’aurait incité à lui infliger une telle correction ! Seule la colère m’a inspiré. Ainsi je pense qu’une colère justifiée est souvent plus salutaire qu’un amour excessif. »
4. Je dis : « Oui, oui, mais ce n’est pas de la colère au sens habituel du terme, c’est une ardeur particulière de l’amour dans le cœur, une ardeur qui possède la force de guérir. J’agis avec cette même ardeur lorsque c’est nécessaire.
Si l’amour n’avait pas cette ardeur, tout l’espace infini serait encore parfaitement vide de tout être vivant. Car c’est à l’ardeur seule de l’amour de Dieu que toute créature doit son existence.
5. Ainsi la punition que ton cœur t’a inspiré d’infliger à ce guerrier plein d’humeur ne procède ni de la colère ni de la soif de vengeance, mais d’une certaine ardeur de ton amour envers ce guerrier qui te tenait très à cœur à cause de ses grandes aptitudes.
Une colère véritable t’aurait incité à le faire mettre à mort, mais l’ardeur de ton amour t’a indiqué le fouet, et tu ne l’as fait frapper qu’aussi longtemps que tu jugeais qu’il pouvait le supporter.
6. Tu pourrais aussi agir de la sorte avec les gens de ces villages. Mais à tes premières tentatives pour les instruire, laisse-toi guider uniquement par l’amour, et ces hommes se laisseront convaincre s’ils voient qu’on ne leur applique lois et jugements que pour leur salut.
Mais que la sévérité de ces lois apparaisse seulement comme une velléité tyrannique qui ne corrige personne et qui ne fait qu’inciter des anges à devenir démons, ils ne chercheront qu’à se venger de celui qui ne cesse de les persécuter sans raison apparente ! Comprends-tu ? »
7. Le capitaine dit : « Oui, Seigneur, c’est lumineux comme le soleil, et dès aujourd’hui, je vais envoyer un messager porter un ordre au sous-officier de l’endroit, et dès demain ces villages devront s’y conformer. Aussi vais -je me rendre auprès de mes gens pour rédiger cela ! » GEJ2 CH155 GEJ2.pdf (retour-du-christ.fr)
