1. Simon Juda Me dit alors : « Ah, Seigneur et Maître, il y aurait encore bien des choses dans mon esprit qui ne veulent pas rester bien droites ! Mais je me dis que, si ce qui m’avait paru jusqu’ici la chose la moins droite se redresse si aisément, les quelques lignes tordues dans mon esprit se redresseront bien d’elles-mêmes, à la longue ! »
2. Je lui dis : « Eh bien, dis seulement ce qui te paraît encore tordu ! »
3. Simon Juda : « Seigneur, je le ferai, mais pas tout à fait de bon cœur, parce que je me dévoile ainsi aux autres disciples et leur montre qu’a bien des égards, je suis peut-être plus sot qu’eux ; mais, puisque Tu le souhaites, je parlerai donc et m’humilierai devant mes compagnons !
4. Voici : lorsque, devant nous et devant le peuple, Tu as donné cet enseignement sur l’amour du prochain, Tu as affirmé qu’il fallait aimer même ses pires ennemis, bénir ceux qui nous maudissent, faire le bien à ceux qui nous font du mal, et que, si quelqu’un nous donnait une gifle, il fallait lui tendre l’autre joue et non pas lui rendre sa gifle.
5. Je comprends bien que, dans une telle attitude, l’amour du prochain que Tu nous enseignes et que Tu nous commandes de pratiquer prend sa vraie forme divine – car, si nous devions faire aux autres hommes tout ce que nous souhaiterions qu’ils nous fassent dans un cas semblable, cela justifierait certes pleinement que l’on doive aimer jusqu’à ses ennemis, prier pour ceux qui nous maudissent et faire le bien à ceux qui nous font du mal ; mais il me semble qu’il y a encore là quelque chose qui ne va pas, parce qu’on laisse tout à fait de côté la légitime défense. On peut certes agir ainsi envers des gens qui ne poussent pas trop loin la méchanceté, mais, avec ceux qui sont devenus de vrais diables pour leur prochain et qui persistent, il faudrait bien que cette divine leçon souffre une petite exception.
6. Je ne parlerai pas de la gifle, parce que cela ne me ferait rien de tendre l’autre joue à celui qui vient de me donner en quelque occasion une gifle modérée, si l’envie lui prend de m’en donner une autre et si cela peut ramener la paix et la concorde entre nous ; mais que faire si mon adversaire m’a déjà presque tué par sa première gifle ? Dans ce cas, ne devrais-je pas opposer quelque résistance, si cela m’est possible, plutôt que de me laisser tuer tout à fait par un Samson furieux ?
7. Je crois donc, Seigneur et Maître, qu’il y a encore dans cette leçon sur l’amour du prochain quelque chose d’un peu tordu certes seulement selon le jugement de ma raison humaine que les estomacs bien droits de nos âmes ont peine à digérer. Bien sûr, je ne sais pas si j’ai parlé sagement ou stupidement ; mais, comme je crois malgré tout que cette raison terrestre ne doit pas être d’une si mauvaise nature, sans quoi je n’aurais jamais pu Te reconnaître comme le Seigneur, je pense que c’est précisément cette bonne nature de ma raison qui reconnaît aussi ces petites imperfections. »
8. Je dis : « Ta question est fort bonne et justifiée ; mais Je dois tout de même te faire observer que, si ton jugement est assurément fort juste, ta mémoire, elle, est un peu moins bonne – la faute en est à ton âge avancé-, et c’est ainsi que tu as oublié ce que Je vous ai dit en mainte occasion pour expliquer ce qu’est le véritable amour du prochain.
9. Il est parfaitement évident qu’ il ne faut pas, en témoignant trop d’amitié à un homme vraiment méchant, lui donner l’occasion de devenir encore plus mauvais qu’il ne l’était déjà.
10. En ce cas, rester indulgent ne servirait qu’à encourager la colère grandissante de l’ennemi ; or, contre cela, J’ai toujours mis en ce monde des juges sévères à qui J’ai donné le droit de punir, lorsqu’ils le méritaient, les hommes devenus par trop mauvais, et c’est aussi pourquoi Je vous ai commandé de vous soumettre à l’autorité temporelle, qu’elle soit douce ou sévère.
11. Ainsi donc, si quelqu’un a un tel ennemi, qu’il aille le dire à un juge terrestre, et celui-ci fera passer à cet homme déjà devenu tout à fait méchant son envie de faire le mal.
12. Si les simples châtiments corporels ne suffisent pas, il faudra bien en passer par le glaive. Et il en va de même pour la gifle. Si tu en reçois une d’un homme de peu de méchanceté, qui y a été poussé par un accès d’humeur, ne te défends pas, afin qu’il puisse s’apaiser en voyant que tu ne lui rends pas sa gifle, et vous redeviendrez facilement bons amis sans avoir besoin d’un juge terrestre.
13. Mais si un furieux te gifle avec une violence meurtrière, tu as pleinement le droit de te défendre ; et, vois-tu, s’il n’en était pas ainsi, Je ne vous aurais jamais dit de secouer jusqu’à la poussière de vos pieds en quittant un lieu où les gens, non contents de ne pas vous accueillir, se moqueraient de vous et vous menaceraient de persécutions.
14. Oh, sois assuré qu’avec ce sermon sur l’amour du prochain, Je n’ai aucunement aboli la force et le pouvoir du glaive ! Mais il fallait les rendre plus doux tant que l’hostilité entre les hommes n’atteignait pas un degré que l’on pût à bon droit qualifier d’infernal.
15. Selon la loi de Moïse et de la plupart des Juges, les anciens disaient certes “Vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent !”, mais avec vous, ces sortes de lois ne doivent plus être prises au pied de la lettre, et il faut pardonner à son ennemi bien plus souvent que sept fois, ce dont Je vous ai donné à maintes reprises une explication que vous aviez bien comprise !
16. Mais, comme Je l’ai dit, la loi de Moïse, des Juges et des Prophètes n’est pas ainsi abolie, mais seulement adoucie ; car ceux-là prenaient la loi trop au pied de la lettre et, bien souvent, punissaient avec la même rigueur celui qui avait causé du tort à son prochain bien davantage par hasard que par mauvaise volonté.
17. Et c’est parce que les Juges s’en tenaient trop strictement à la Loi qu’au temps de Samuel, le dernier des Juges d’Israël, le peuple M’a demandé un roi, sous l’autorité duquel il espérait être mieux traité par la loi que sous les Juges. Le peuple se trompait sans doute, surtout sous le roi Saül, qui le punit bien plus sévèrement que les anciens Juges ; mais il est vrai que, sous les règnes de David et de Salomon, il fut traité plus humainement que sous les Juges.
18. Par la suite, cependant, surtout lorsque le royaume fut divisé entre plusieurs rois, son sort fut encore bien pire que sous les Juges. Pour finir, comme les choses allaient de mal en pis, il ne restait plus rien à faire que mettre tous les Juifs, ainsi que bien des peuples voisins avec qui ils étaient sans cesse en guerre, sous l’autorité unique de Rome, parce que Rome avait, au sens de ce monde, les lois les plus sages et les plus adéquates. Et, de fait, le calme et l’ordre sont très vite revenus chez les Juifs comme chez les peuples voisins !
19. Mais, parce que les Juifs se soulèveront de plus en plus, que les prêtres juifs dénonceront de plus en plus les lois romaines comme impies et qu’ils maudiront les gens de bien qui sont les amis des Romains, les Romains reprendront les armes et reviendront en force dans ce royaume, le détruisant si bien qu’il n’en restera pas pierre sur pierre. Alors, les Juifs eux-mêmes seront dispersés dans toutes les parties du monde, et il arrivera ce que Je vous ai annoncé par avance, à savoir que les Juifs devront prier pour ne pas avoir à s’enfuir en hiver ni pendant un sabbat ; car alors, ce serait bien pire qu’en une autre saison et un autre jour de la semaine. Et cette fuite sera particulièrement dure aux femmes enceintes.
20. En ce temps-là, deux Juifs dormiront dans le même lit ; l’un, connu comme ami des Romains, restera, et le Juif obstiné sera rejeté. Ainsi, deux autres moudront au même moulin ; et, sur le même sol, l’un demeurera et l’autre sera rejeté. Qui travaillera sur son champ, qu’il ne retourne pas chez lui pour prendre sa robe, et celui qui réparera le toit de sa maison, qu’il n’en descende pas pour aller chercher quelque chose dans sa maison, mais qu’il saute à terre et s’enfuie pour sauver sa vie ! Car, s’il descend du toit dans sa maison, il perdra la vie à coup sûr ; mais s’il saute du toit, il pourra encore sauver sa vie en s’enfuyant.
21. Ce sont là, Mon cher Simon Juda, des choses que Je vous ai dites bien des fois, à vous comme à beaucoup d’autres Juifs et Pharisiens, et je crois donc que tu ne trouveras plus là rien de tordu ! » GEJ10 C215
