De la religion à Rome au temps de Jésus

1. Cyrénius dit : « Mon enfant, tu as parfaitement raison : la position du PONTIFEX MAXIMUS à Rome est bien celle-là — auprès du peuple seulement —, et l’on n’y peut rien changer pour le moment ! Mais je puis aussi t’assurer que seule y croit la plèbe la plus ordinaire, dépourvue de toute éducation, et encore n’y croit-elle qu’à moitié ; mais dans la meilleure partie du peuple, plus personne n’y croit, et tout est donc encore possible avec nous, Romains.

2. La propagation de ces vérités purement divines amènera certes, à cause du bas peuple, bien des luttes fâcheuses, mais aussi des adeptes qui, selon la vraie tradition romaine, mettront avec joie leurs biens, leur sang et leur vie au service de cette doctrine. Car il n’est guère de peuple sur terre qui craigne moins la mort que les Romains !

Lorsqu’un vrai Romain s’engage sérieusement, il le fait toujours sur sa vie — et cela, aucun autre peuple ne le fait, tu peux en être certaine !

3. Nos prêtres, à dire vrai, ne sont plus que la cinquième roue de la charrette, et leurs fêtes et leurs sermons ne servent plus qu’à amuser le peuple.

Quant à leurs règles morales, plus personne n’en fait le moindre cas. C’est là le domaine d’un droit qui, chez nous, embrasse tout et est le produit des meilleurs et des plus sages de tous les philosophes ayant jamais foulé le sol de cette terre(*).

(*) Le droit romain, à son apogée au temps de Jésus (et plus précisément dans les deux siècles qui précèdent et qui suivent)

4. L’État ne maintient le P.M. qu’à cause du vulgaire, et son action, autrefois libre, est à présent très limitée. Ah, il y a deux ou trois siècles, il se passait encore de drôles de choses, et le P.M. était véritablement une sorte de dieu parmi les hommes !

C’était d’ailleurs toujours nécessairement un homme plein de science, sans quoi il n’aurait guère pu accéder à une si haute fonction. Il devait être initié aux mystères égyptiens et connaître parfaitement tous les oracles et leurs secrets.

Il devait aussi être un magicien accompli, et, pour le prouver, passait un examen très sévère devant les plus vieux patriciens de Rome réunis en collège secret. S’il possédait toutes les qualités requises, on lui accordait alors le pontificat, avec tous les droits, privilèges et inconvénients attachés à celui-ci.

5. Bien sûr, il pouvait se permettre bien des choses avec le peuple, mais il devait toujours respecter secrètement les patriciens et faire ce que ceux-ci lui demandaient.

S’ils voulaient la guerre, il devait tourner ses prophéties en sorte de faire passer la nécessité de la guerre pour une volonté des dieux aux yeux du peuple ; mais ces dieux, en vérité, n’étaient autres que les patriciens de l’Empire ainsi que les plus éminents et les plus instruits des citoyens, des artistes et des poètes,

se fondant sur le principe que si l’on voulait préserver l’imagination des hommes des pires ignominies, , se perpétue en Occident jusqu’à nos jours, où, après l’éclipse relative du Moyen Age, il est à l’origine, sous des formes bien sûr plus ou moins adaptées, des grands codes du XIXe siècle (code civil napoléonien en 1804, code allemand de 1900), qui consacrent un usage alors solidement établi, en particulier dans les pays de l’ex-Saint Empire romain germanique.

Les juristes de Rome, plus pragmatiques que philosophes, donnent aux lois romaines une sorte de valeur universelle — du moins en Occident — en y intégrant une pensée grecque elle-même peu soucieuse de droit, en particulier la pensée stoïcienne dont il est si souvent question ici. (Source : Braudel/Dubv. La Méditerranée, Champs/Flammarion.) (N.d.T.) il fallait bien lui donner une direction qui, bien que féconde, n’en était pas moins déterminée.

6. Car tout homme a une imagination naturelle qui, abandonnée à elle-même, peut faire du plus généreux des hommes une bête féroce ; mais si elle est régulée et dirigée vers des formes plus nobles parmi lesquelles elle apprend à évoluer selon certaines règles, elle se met elle-même à créer des formes plus nobles, sa pensée et ses actes deviennent plus purs, et elle pousse la volonté au bien dans ses créations intérieures.

7. C’est ainsi que toute notre religion n’est qu’une création toujours plus ordonnée de l’imagination, conçue en sorte de régler l’imagination humaine ordinaire, et rendue dans la pratique aussi apparente et aussi efficace que cela peut se faire par des moyens humains.

Quant à nous, sages patriciens lettrés, il était évidemment nécessaire, pour des raisons aisément compréhensibles, que nous puissions apparaître tels que nous voulions nous montrer aux yeux du peuple.

8. Il en est ainsi aujourd’hui tout comme autrefois, à la différence que le prolétariat lui-même sait à présent beaucoup de choses jadis réservées aux seuls patriciens, et ne croit donc plus que fort peu au pontificat. Sans doute la plupart croient-ils à une divinité suprême, mais beaucoup ne croient plus à rien, et les plus instruits sont platoniciens, socratiques et bien souvent aristotéliciens.

9. Quant aux prêtres tels que ceux qui t’ont décrit le P.M., beaucoup sont par nature réellement assez bêtes pour prendre au mot tout ce qu’on leur a fourré dans la tête ; mais, bien souvent, ce sont des gens retors qui s’y entendent à mener grand tapage devant le peuple et à prendre des airs de jouer tous les jours aux échecs perses avec les dieux, quand pour eux-mêmes ils ne croient d’autre parole que celle d’Épicure, qui dit à peu près ceci : EDE, BIBE, LUDE. POST MORTEM NULLA VOLUPTAS ; MORS ENIM EST RERUM LINEA(*).

(*) « Mange, bois et joue. Après la mort, plus de plaisir ; car la mort est la fin des choses.»

 10. Ma Jarah, toi qui es si aimable et si merveilleusement savante pour ton âge, tu serais bien injuste envers nous si tu nous jugeais d’après ces deux prêtres !

Car nous autres Romains, nous sommes exactement tels que je viens de le dire. Ceux qui disent autre chose parlent trop vite et savent bien peu ce qu’est Rome, pas plus que tu ne le savais avant que je ne te l’explique, moi qui suis un de ses souverains.

Mais à présent que tu sais cela, tu dois nous juger et nous traiter avec un peu plus d’indulgence ! — Que penses-tu de ce que je te demande là, n’est-ce pas justifié ? » GEJ5 CH8  untitled (retour-du-christ.fr)

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