1. Ayant dit cela, Zorel, vêtu de ses misérables haillons, quitte Zinka et s’approche de Moi en disant : « Noble seigneur et maître en médecine, le vêtement qui couvre mon malheureux corps est une loque des plus misérables ;
mais du moins couvre-telle la pudeur d’un homme qui regrette fort d’être lui aussi du nombre de ces hommes qui doivent exister bon gré mal gré !
Certes, nous avons la même apparence, à l’exception du vêtement ; mais pour ce qui est de l’être, il semble y avoir entre nous un monde de différence.
2. L’homme que je suis sait bien reconnaître que deux et deux additionnés font non pas sept, mais quatre !
Zinka m’a dit que tu étais homme à m’apporter une plus grande clarté que celle qui règne déjà en moi, et qui me confère la qualité d’être humain au moins chez mes coreligionnaires ; mais je n’ai jamais tiré vanité de cela, et le ferai encore moins si tu souhaites allumer en moi une autre petite lumière. Zinka m’a dit que toi seul étais en mesure de le faire.
3. Tu as entendu mes principes, que je n’ai certes pas inventés de toutes pièces. Ils ont malheureusement toujours été pour moi une réalité bien trop évidente : mais si tu as quelque chose de mieux à mettre à la place, fais-le, et je laisserai aussitôt tomber de bon cœur tout mon fatras de vérités !
Je ne sais d’ailleurs pas de quel titre honorifique user pour m’adresser à toi, mais je suppose que tu es toi aussi un homme de vérité, et de tels hommes se soucient peu du titre qu’on leur confère. Je t’appelle donc “grand maître” et te rends hommage sous ce nom, bien que ne te connaissant que de réputation. Mais si je suis aussi satisfait de toi dans la réalité, c’est alors que je t’adorerai !
4. Dis-moi donc, si tu le veux bien, dans quelle mesure mes vérités premières sont justes ou fausses.
Sommes-nous encore plus ou moins les mêmes hommes qui ont autrefois peuplé cette terre comme les premières créatures douées de raison ?
Parce que les hommes ont un jour inventé une loi pour protéger la propriété et ont dit qu’elle avait été dictée par Dieu, n’ai -je pas le droit aujourd’hui, moi pauvre diable qui suis bien souvent resté trois jours sans rien manger et sans rien recevoir même quand je mendiais, de prendre juste assez sur le superflu de quelque autre homme, en cas de réel besoin, pour ne pas mourir d’inanition,
alors que n’importe quel ver de terre a le droit de se rassasier du bien d’autrui sans avoir à l’acheter, pour la bonne raison qu’il est lui aussi un habitant de ce sol et doit malheureusement l’être, puisque la puissante nature en a décidé ainsi ?
Ou bien un homme doit-il, parce qu’il n’a pas de quoi s’acheter un bon lopin de terre, avoir moins le droit de se rassasier des fruits de la terre qui conviennent à sa nature qu’un des oiseaux du ciel, qui sont pourtant tous de fieffés voleurs ?! Si tu le veux bien, dis-moi comment tu réponds à cela ! »
5. Je dis : « Ami, tant que tu mets les droits des hommes au même niveau que ceux des bêtes, tes droits naturels fondamentaux sont parfaitement justifiés : Je ne peux rien leur objecter, et toute loi qui protège la propriété, de même que toute autre loi morale, est alors d’un ridicule parfaitement achevé !
Il faudrait être vraiment stupide pour vouloir imposer aux oiseaux dans le ciel, aux animaux sur la terre et aux poissons dans l’eau des lois de protection des biens et autres prescriptions morales ;
car tout homme tant soit peu raisonnable, et plus encore un dieu, doit bien savoir que pour ces créatures, la nature est le seul législateur !
Tu as donc bien raison de penser que l’homme n’est rien d’autre et n’a rien de plus à attendre que n’importe quel animal, s’il reste ainsi dans son état de nature.
6. Mais si l’homme, comme cela est très possible, est ou devrait être ici-bas dans quelque but supérieur dont, bien sûr, tu n’as encore jamais eu la moindre idée jusqu’ici,
car ta sagesse qui ne plaide que pour les besoins inférieurs en témoigne fort clairement, tes principes mathématiques deviennent alors vraiment boiteux et chancelants !
7. Mais que tout homme ait été placé sur cette terre dans un but supérieur devrait déjà t’apparaître dans le fait qu’à sa naissance, il est bien moins avantagé que n’importe quel animal,
et ne commence à devenir un être humain qu’après plusieurs années de soins constants. Il est contraint de se plier à une règle quelle qu’elle soit, et de gagner son pain par toutes sortes de justes peines et de loyaux combats.
Mais s’il a reçu des lois, c’est aussi pour qu’il voie en elles la première indication du chemin qu’il doit suivre pour atteindre son but supérieur,
et qu’il les observe de son plein gré pour le bien de l’évolution et de la détermination autonomes qui seules, par la suite, lui permettront d’accéder finalement à sa vocation supérieure — qui n’est cependant en aucun cas de devenir un homme animal doué d’un entendement si aiguisé soit-il, mais un homme-humain parfaitement accompli.
8. Tant que tu ne te soucies que de ce qui est dû à la chair, tu n’iras pas loin en tant qu’homme ;
mais quand tu découvriras qu’il y a aussi en toi un homme dont les besoins sont tout autres que ceux de ton corps et qui est aussi destiné à tout autre chose, ah, c’est alors que tu n’auras plus aucune peine à reconnaître à quel point tu marches sur des sables mouvants avec tes principes !
9. Vois-tu, Je sais que tu es par ailleurs de bonne volonté et que tu recherches la vérité et la cause de tout ce mal dans lequel les hommes de cette terre sont aujourd’hui plongés jusqu’au cou ! Parce que tu as toujours éprouvé une joie particulière à voler,
tes réflexions t’ont mené à considérer la loi qui protège les biens et la propriété légitime comme une boîte de Pandore ; et parce que, dans ta jeunesse, tu étais aussi un grand ami des femmes et du plaisir, tu as toujours éprouvé une égale aversion pour la loi morale qui te désignait comme un péché, à toi comme à tout un chacun, l’abus de l’acte charnel.
10. Oui, en tant qu’homme-animal, tu as parfaitement raison avec tes principes, tout comme lorsque tu affirmes qu’il devrait exister avant les autres lois une loi préalable selon laquelle tous les enfants devraient recevoir une éducation leur inculquant si bien l’ordre social qu’il leur serait purement et simplement impossible, à l’âge adulte, d’enfreindre quelque loi que ce soit, ce qui, tout naturellement, rendrait superflue toute législation supplémentaire.
11. Mais, vois-tu, le Créateur des mondes et de tous les êtres a bien établi cet ordre, même chez les animaux !
Chaque animal reçoit dès le sein maternel, dans sa constitution tout entière, l’éducation préalable que tu réclames, et il n’a plus besoin d’aucune loi par la suite ; car, avec cette éducation reçue dans le sein maternel, il apporte avec lui tout ce dont il aura besoin dans toute sa vie !
Cependant, Celui qui a créé les esprits angéliques, le ciel, les mondes et les hommes devait certainement savoir ce qui était nécessaire pour créer les hommes et leur apprendre ensuite à être des hommes libres et non des animaux déjà jugés.
12. Si tu analyses un peu plus en détail tes principes de vie mathématiquement exacts, tu découvriras très vite que le langage est un grand mal pour les hommes, car il leur permet de s’instruire de toutes sortes de mauvaises choses.
De même, le mensonge ne serait jamais apparu chez les hommes s’ils ne savaient pas parler, par signes ou par des mots ; mais la pensée elle-même est dangereuse, puisque par elle les hommes peuvent concevoir toutes sortes de méchancetés et de ruses !
Finalement, ils ne devraient pas même avoir le droit de voir clair et de bien entendre, ni de goûter ou de sentir ; car si tous ces sens fonctionnent correctement, ils pourraient bien inspirer à l’homme quelque désir ou quelque envie charnelle, ce qui pourrait être mauvais !
Considère encore ton homme régi par des principes mathématiques, et demande-toi s’il y a une différence, excepté dans la forme, entre lui et un polype marin !
13. Et avec un tel homme, que feras-tu du but supérieur pour lequel tout homme a été créé ? Quelle éducation pourras-tu bien lui donner ?
Quand un tel homme parviendra-t-il à se connaître lui-même et à reconnaître le vrai Dieu, cause première de toute chose, de toute lumière et de toute félicité ?
Considère la constitution d’un homme sain, observe-la et étudie-la précisément avec ton esprit critique, et lu trouveras qu’un être aussi sagement
et aussi ingénieusement organisé doit pourtant avoir une autre vocation que simplement celle de se remplir le ventre chaque jour afin qu’il sorte ensuite de lui le plus possible d’immondices ! » GEJ4 CH61 GEJ4.pdf (retour-du-christ.fr)

