1. Jean se remit donc à parler ainsi : « Ami Hiram, cette nuit, tu as fait ce que tu as appelé toi-même un rêve de lumière ; tu as affirmé nous avoir vus arriver ici avec notre vaisseau, et tu viens à l’instant de reconnaître spontanément que nous étions bien ceux que tu avais vus en rêve.
Explique-moi donc, selon ta philosophie, qui, dans son genre, n’est certes pas à dédaigner, comment cela peut se faire !
Car si nous n’avons que des corps, et pas d’âmes capables de vivre sans eux, comment avons-nous pu nous montrer sous la forme d’âmes, dans ton rêve, à ton âme demeurée elle aussi vigilante et active pendant que ton corps dormait, tandis que nos corps à nous se trouvaient assurément, à ce moment-là, encore loin d’ici, près de Césarée ? »
2. Hiram dit : « Oui, sans doute ! Mais si ce sont vraiment vos âmes qui, détachées de leur corps, vous ont précédés dans cette baie, j’aimerais pourtant bien savoir, en ce cas, si votre bateau aussi a une âme !
Nous voici revenus, ami, à ce même point contestable sur lequel mon ami Aziona désirait déjà une explication, quand tu l’as exhorté à la patience. Aussi suis-je fort curieux à présent de voir quelle réponse tu feras à cette délicate question ! »
3. Jean prend alors la cruche et lui dit : « Ami, je vois que tu as soif ! Bois donc un peu, puis nous reprendrons cette conversation ! »
4. Hiram dit : « Ne serait-ce pas là par hasard un de ces breuvages magiques indiens qui vous grisent et vous font ensuite accepter toutes les folies des hommes ? »
5. Jean dit : « Aziona est près de toi ; demande-lui si c’est un breuvage magique venu de l’Inde ! »
6. Aziona dit aussitôt à Hiram : « Bois donc, tu t’en trouveras fort bien ! »
7. Hiram dit : « Sous ta responsabilité, frère ! » Et il saisit la cruche et y but plusieurs fois à grands traits abondants, étant lui-même un homme grand et fort.
Quand il eut étanché sa soif, il dit à Aziona avec étonnement : « Voyez donc cela ! Mais à quelle source as-tu puisé cette eau remarquable ? »
8. Aziona répond : « Je te l’ai déjà raconté près de ta hutte ! C’est la même eau que ces merveilleux amis ont changée en vin, et qui provenait de ma source que tu connais bien ! »
9. Hiram dit : « Eh bien, vrai, je voudrais bien connaître ce tour moi aussi ! Car une telle boisson pourrait bien mettre de temps en temps un peu de sel dans nos vies périssables.
En vérité, c’est bien le meilleur vin que j’aie jamais bu ! Pour l’amour d’un tel vin, un homme pourrait assurément vivre un ou deux milliers d’années sans se lasser ! Laisse-m ’en boire encore quelques gorgées ! »
10. Aziona tendit la cruche à Hiram, et celui-ci but encore quelques gorgées bien senties, puis remercia Jean et lui dit : « En vérité, cher ami, cela t’a fort bien réussi ; mais voyons à présent si tu t’en tireras aussi bien pour m’expliquer cette histoire d’âme du bateau ! »
11. Jean dit : « C’est encore plus facile, cher ami ! Mais il faut d’abord que tu saches que toute âme déjà spirituellement accomplie et étroitement unie à l’esprit de Dieu est aussi plus ou moins omnipotente,
et c’est pourquoi il lui est bien facile de créer momentanément un tel vaisseau et, en cas de besoin, de faire apparaître à une autre âme, comme s’il existait réellement, ce produit de sa puissance créatrice.
C’est bien ce qui s’est passé la nuit dernière, et c’est ainsi que ton âme a pu voir un vaisseau nous transporter, sans que pour autant notre vaisseau ait eu besoin d’avoir quelque âme que ce fût. D’ailleurs, tu nous as également vus vêtus comme nous le sommes dans la réalité matérielle ; nos vêtements avaient-ils donc une âme eux aussi ?
Non, ce ne sont là en quelque sorte que les créations temporaires de l’âme, lorsqu’elle est étroitement reliée à l’esprit de Dieu.
12. Ainsi donc, dans ton rêve, tu nous as évidemment vus tels que nous sommes par les yeux spirituels de ton âme, et nous savions que tu nous verrais et le voulions ainsi, car tu es le plus entêté dans tes convictions, et il nous fallait quelque chose pour commencer à t’ouvrir les yeux ; car si nous n’avions jamais existé, en vérité, tu n’aurais jamais pu nous voir, fût-ce dans le rêve le plus clair ! Mais puisque nous existons, et que même, selon l’esprit, nous existions en Dieu de toute éternité, il nous fut facile, dans ce but déjà envisagé de longue date, d’éveiller ton âme dans ton corps pendant les quelques instants de ce rêve nocturne, afin de lui permettre de voir par avance dans cette grande lumière ce qui arriverait.
Peux-tu dire que cela aussi est un jeu de la grande Nature ? »
13. Hiram dit : « Cher ami, il ne faut pas m’en vouloir si j’ai coutume de parler comme je pense ! Dès tes premières paroles, j’ai compris que tu étais à ta manière un grand sage et un grand orateur ! Avec un tel don, tu as beau jeu de nous faire prendre un ours pour un loup, comme dit un proverbe en usage chez nous.
14. Je t’ai raconté très fidèlement et franchement le rêve que j’ai réellement fait cette nuit, et il t’est facile à présent d’en faire ce qui te plaît. En vérité, il n’est pas bien sorcier de faire le prophète après coup ; car un bon dialecticien sait se servir subtilement de toutes les circonstances et, comme on dit, improviser au pied levé une idée qui, dans son genre, ne laisse rien à désirer.
Des hommes à l’esprit superficiel et de peu d’expérience s’y seraient déjà laissé prendre ; mais à la raison froide et rassise, dépourvue de toute passion et de toute crainte, d’un homme d’expérience, il faut bien autre chose que la dialectique parfaite d’un jeune homme par ailleurs sans doute fort honnête et plein de talent.
15. À franchement parler, ce que tu m’as dit de mon rêve n’est pas du tout à rejeter et mérite fort qu’on y réfléchisse un peu ; mais ma grande expérience et tout ce que je sais m’oblige à t’objecter quelque chose. Si tu peux y répondre d’une manière satisfaisante, nous ne devrions pas tarder à nous mettre d’accord ! »
16. Jean dit : « Attends, ami. Afin de mieux te convaincre de la force spirituelle de l’âme qui est dans le corps de l’homme, je vais aller chercher dans ton âme et te dire très exactement quelle preuve tu voulais opposer à mes affirmations et me présenter comme une explication,
selon toi difficilement contestable, de ton point de vue ! Et tu peux hardiment m’administrer une gifle pour chaque parole fausse que je dirai ! »
17. Hiram dit : « Eh bien, parle ! En vérité, je voudrais bien voir cela, sans qu’il soit besoin pour autant de te gifler à chaque erreur ; car, à moins d’une nécessité urgente, nous ne pratiquons pas et n’avons jamais pratiqué ces sortes de rappels à l’ordre et de remontrances !
Aussi, conte-moi avec bonne humeur ce que tu sais des expériences et événements cachés de mon existence ! » GEJ5 CH182 untitled (retour-du-christ.fr)
