Les neuvième et dixième commandements

1. Hélias dit : « Ô Seigneur et Maître, il y a dès l’abord, dans le neuvième et le dixième commandement, une chose qui me gêne fort, à savoir que nous avons actuellement, nous, les Juifs, un neuvième et un dixième commandement, tandis que Moïse, lorsqu’il donna la Loi, n’en avait mentionné que neuf.

Dans sa totalité, ce neuvième commandement disait ceci: “Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, et tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur ou sa servante, ni son bœuf ou son âne, ni rien de ce qui est à ton prochain.”

2. Et c’était là la fin de la Loi : car aussitôt après le récit de Moïse, le peuple s’enfuit, effrayé par les éclairs, le tonnerre, le son des trompettes et la grande nuée qui s’élevait de la montagne, et demanda à Moïse de parler seul avec Dieu – car s’ils écoutaient plus longtemps la voix tonnante de Dieu, ils mourraient tous de frayeur et de crainte -, et Moïse parla au peuple et l’apaisa. Ensuite, il n’est plus question d’un dixième commandement.

3. Mais pour nous, le “Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain” a été retiré du neuvième commandement pour faire le dixième, encore que certains appellent cela le neuvième commandement, et tout le reste le dixième. La première question est donc celle-ci : Moïse a-t-il reçu de Dieu dix commandements, ou seulement neuf ? »

4. Je dis : « À la vérité, Ma chère Hélias, seulement neuf au commencement ; par la suite, lorsque, ayant brisé les premières tables de la Loi, qui étaient de pierre, il dut les remplacer, il divisa lui-même en deux le neuvième commandement, afin de mieux faire ressortir l’interdiction de convoiter l’épouse du prochain,

car les Juifs avaient pris cette habitude en Égypte et, depuis lors, vivaient sans cesse dans la querelle, la discorde, voire la haine mortelle, et Moïse finit même par punir de mort l’adultère, parce que les plus sages paroles n’avaient plus d’effet sur des Juifs tombés dans la pire sensualité.

 5. Tu sais maintenant quand, comment et pourquoi le neuvième et dernier commandement a donné naissance à un dixième commandement séparé. Quoi qu’il en soit. C’est ce qu’ils disent qui importe et non pas leur nombre, aussi peux-tu adresser ta critique aussi bien au neuvième commandement dans son ensemble qu’au seul dixième commandement, selon ce que tu préfères. Tu peux donc parler maintenant. »

6. Hélias dit : « Ô Seigneur et Maître de toute chose, parler, je le pourrais sans doute, car j’ai de naissance la langue bien pendue : mais je vois bien par avance que, là encore, j’aurai parlé en vain ! Qui de nous, pauvres ignorants que nous sommes, peut Te faire une seule objection que Tu ne puisses aussitôt réfuter mille fois ? Et en ce cas, à quoi bon parler ? »

7. Je dis : « Ah, tu es assurément Ma fille très chère, mais enfin, comme presque toutes les femmes, tu voudrais bien avoir raison ! Or, il ne s’agit pas ici d’une vaine querelle, mais bien d’une question essentielle pour la vie, et vous devez donc accepter d’exposer de vous-mêmes toutes vos vieilles erreurs, afin de les reconnaître plus sûrement à la grande lumière que Je vous donne !

C’est pour cette raison que Je te fais parler au nom de tous, car Je sais fort bien que tu as fort bonne mémoire et la langue déliée, et aussi que, grâce à ton rabbin, tu connais mieux que quiconque les lacunes et les défauts que l’on peut trouver dans la Loi et chez les Prophètes.

Aussi, comme auparavant, dis-nous très franchement ce qui ne te semble pas absolument parfait dans cette loi. »

8. Hélias dit : « Seigneur, on ne saurait pécher lorsqu’on fait ce que Tu demandes ! Forte de cela, je confesse ouvertement que, oui, c’est bien avec ce neuvième commandement dans son ensemble que je suis le moins d’accord, et même pas du tout, parce que les interdits qu’il renferme sont tout simplement une insulte à la raison d’abord parce que tout ce qui s’y trouve figure déjà suffisamment dans les sixième et septième commandements, ensuite parce qu’on y interdit purement et simplement à l’être humain de penser, de sentir et de désirer !

9. Qu’importe donc qu’un pauvre homme qui, par sa naissance, est condamné à travailler durement toute sa vie pour une maigre subsistance et un maigre salaire, pense de temps en temps, voire qu’il éprouve le grand désir de posséder lui aussi un jour une maison, une femme bien-aimée, un bœuf ou un âne ?!

Puisque ce qui n’est pour lui qu’un vœu pieux ne se réalisera jamais ! S’il n’a même pas le droit de désirer ces choses, il faudrait d’abord lui ôter toute pensée, toute perception et tout sentiment.

10. En vérité, c’est pour moi comme si, par ce commandement inepte, Moïse avait défendu aux hommes l’usage de leurs sens et même de leurs bras et jambes, et encore, cela eût été bien plus simple que de lui interdire les fonctions vitales les plus intimes, que nul homme, en vérité, ne peut empêcher d’exister lorsque toutes sortes de conditions et de circonstances les réveillent en lui.

11. Je ne soulèverai plus ici la question de savoir pourquoi ce commandement ne s’adresse en apparence qu’à l’homme, puisque la raison en a déjà été expliquée, et l’on peut donc admettre en toute certitude que chaque loi concerne tout aussi bien la femme que l’homme et qu’il est également dit ici à la femme :

“Tu ne convoiteras pas le mari de ta voisine !” Il n’y a donc rien à redire à cela ; mais que l’être humain n’ait pas le droit de penser, de sentir ou de désirer, ni d’éprouver quoi que ce soit – c’est vraiment un peu trop fort !

12. Il est vrai que toutes sortes de choses bonnes ou mauvaises naissent en nous, pensées, mais aussi souhaits, désirs, et finalement la volonté et les actes eux-mêmes ; mais, même si, bien sûr, les pensées sont souvent aussi à l’origine de mauvaises actions, sans elles, il n’y en aurait pas davantage de bonnes. Tout ange, tout homme doué d’un peu de raison doit le concevoir sans peine.

Et c’est pourquoi je dis que, pour ce qui est d’interdire aux hommes les mauvaises actions, cette loi est fort bonne, bien que selon moi superflue, puisque, comme je l’ai déjà dit, les sixième et septième commandements le font déjà.

Mais elle ne me plaît pas du tout lorsqu’elle interdit à l’homme de penser et de ressentir, et donc, comme il s’ensuit à coup sûr, d’éprouver le moindre désir ou la moindre convoitise.

13. Par exemple, mes parents, mon frère et moi avons perdu sans qu’il y ait de notre faute tout ce que nous avions, et il ne nous reste plus à présent que notre vie, et, par Ta grâce, ô Seigneur, ces bons amis.

 Mais quand, dans notre grande misère, nous voyions les riches et les puissants nager dans l’opulence, étions-nous coupables de souhaiter qu’il nous fût permis de posséder ne fût-ce qu’une toute petite part de cette abondance ?!

Si, lorsque nous avons faim, nous n’avons même pas le droit d’imaginer que nous mangeons dans des plats bien remplis, c’est la fin de tout !

14. À cela s’ajoute une grande question : les hommes, qui viennent en ce monde sans l’avoir demandé, ne devraient-ils pas avoir tous un même droit naturel sur ce que porte cette terre – qui, en vérité, appartient à Dieu – au moins en sorte que les besoins vitaux de leur corps soient satisfaits ?

Pourquoi faut-il que certains aient le droit de posséder tant de richesses, et cela sous la protection absolue des lois, tandis que la très grande majorité des hommes non seulement n’ont rien, mais doivent s’accommoder d’une loi divine selon laquelle ils ne doivent pas désirer le superflu dont les riches et les puissants se disent les maîtres ?

Cela ne leur ôte pourtant rien : et si on n’a pas le droit d’éprouver le désir impérieux du superflu des riches, on n’aura pas davantage celui de le mendier auprès d’eux !

Car, pour demander, il faut nécessairement, contraint par la misère, éprouver d’abord le besoin de posséder une part de ce que possède le riche prochain.

15. Nous autres pauvres, nous n’aurions donc que le droit de demander du travail aux possédants, et de nous déclarer pleinement satisfaits des gages les plus misérables, car désirer quoi que ce soit de plus serait transgresser la loi en convoitant ce qui appartient au riche prochain, Ô Seigneur et Maître, un Créateur plein d’amour ne peut avoir voulu et ordonné cela !

Cela doit avoir été établi il y a bien longtemps, sous le nom de divine providence, par des hommes cupides, afin que nous ne puissions même pas, nous, les pauvres, les gêner en pensée dans la jouissance de leurs biens.

16. Seigneur et Maître, Toi qui possèdes la sagesse parfaite et la toute-puissance, que réponds-Tu à cela ? »  GEJ7 CH35 untitled (retour-du-christ.fr)

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