Ouran montre combien les craintes d’Hélène sont peu fondées

1. Mathaël dit : « Assurément, qui ne voudrait le reconnaître ? Mais mon épouse bien-aimée s’exagère beaucoup l’énormité de la tâche ! Il est vrai qu’elle ne sera pas facile — mais bien loin du nettoyage des écuries d’Augias, que le géant Hercule est censé avoir accompli dans le bref temps requis ! Je n’ai nulle crainte et crois qu’avec l’aide du Seigneur, tout ira fort bien ! »

2. Hélène dit : « Je l’espère aussi ; mais je connais mon peuple et toutes les institutions fort anciennes du pays, et je puis te dire que parmi eux, c’est-à-dire chez les gens de mon royaume, il est bien difficile d’être et de rester un être humain !

3. Il y a bien des erreurs humaines contre lesquelles il est facile de partir en guerre, mais c’est une tâche de géant que de s’attaquer au fanatisme d’une superstition devenue adamantine, et que la prêtrise s’y entend à stimuler par toutes sortes de faux miracles.

4. Il faudrait au moins pouvoir accomplir des miracles extraordinaires, et encore, c’est à se demander si l’on y gagnerait quelque chose avec le peuple !

Cela ne fera que le sortir d’une superstition pour le plonger dans une autre, si on ne l’éclaire pas en même temps sur la manière de distinguer un vrai miracle d’un faux ; mais comment y parvenir quand on n’en sait que fort peu sur ce que sont vraiment les faux miracles ?

5. Quant aux anciens prêtres, ayant déjà accompli aux yeux du peuple tant de faux miracles pour accréditer leurs tromperies, ils ne voudront jamais désavouer ceux-ci !

S’ils le faisaient, le peuple tout entier se jetterait sur eux et les mettrait en pièces ; car on n’a jamais instruit tout un grand peuple aussi rapidement qu’un seul homme.

6. La question des prêtres doit donc se régler d’une tout autre manière, et il faut prendre le peuple tout à fait au dépourvu si l’on veut qu’il puisse accepter un changement si radical ; nous pourrons dire que nous aurons eu de la chance si, en dix ans, nous réussissons à faire en sorte qu’il soit devenu possible de parler au peuple des choses de l’esprit !

7. Mathaël, mon époux bien-aimé, tu sais que je ne doute pas un instant de ta grande sagesse, ni de la nécessité d’une aide extraordinaire du Seigneur ; mais je connais aussi toutes les difficultés qui se dresseront devant nous comme des géants, et il y a fort à parier que nous devrons une nouvelle fois quitter le pays !

8. Si divinement pure et magnifique que soit cette doctrine, qui procure en outre une telle félicité, le monde va bien trop mal, et c’est pourquoi, selon moi, ce sera toujours une très lourde tâche que de prêcher le divin Évangile de paix aux diables de l’Orcus ! »

9. Mathaël dit : « Oh, il est vrai que ce ne sera pas tâche facile ; mais notre joie n’en sera que plus grande lorsque, avec l’aide du Seigneur, nous aurons pu l’accomplir ! Et nous y parviendrons, dût le monde tomber en ruine !

 Car pour cela, je suis un homme intransigeant : ce que j’entreprends doit aller à son terme ! — Et maintenant, parlons d’autre chose. »

10. Ouran dit : « Vous aurez bien raison de changer de sujet ! Car pendant que vous parliez, j’ai fait un petit somme fort réparateur, mais entretemps, j’ai entendu quelques bribes de votre conversation, et, je vous le dis, la petite (Jarah) a tout à fait raison, et toi, Mathaël, mon fils, tu as raison aussi ; mais l’inquiétude de ma bonne fille, si elle n’est pas entièrement sans fondement, est pourtant bien vaine !

11. Car je connais mon peuple aussi bien que moi-même : pour la plus grande part, il est commerçant et a l’occasion de connaître toutes sortes de peuples, avec leurs us et coutumes et leur religion. Il y a certes, dans l’intérieur du pays, des contrées encore fortement attachées à leurs oracles ; mais sur les côtes, on vous cédera tous les dieux pour quelques sous. Pour la plupart, la prêtrise a depuis longtemps déjà la pire réputation, et la philosophie a depuis longtemps supplanté la croyance aux dieux.

12. Quant à la Tauride, sur la partie méridionale de laquelle je règne également, il y a bien longtemps que la gent des dieux y a disparu, ce à quoi le poète romain Ovide, qui y a séjourné quelque temps, n’a pas peu contribué par ses Métamorphoses — dans lesquelles il tournait honorablement les dieux en ridicule d’une manière poétique.

Platon, Socrate et Aristote sont désormais les dieux de l’époque, et avec eux, cette doctrine s’enracinera fort aisément ; car ces trois sages ont eux aussi prêché l’existence d’un seul vrai Dieu et entièrement réfuté le polythéisme en tant que réalité au plein sens du terme pour ne plus le considérer que comme une description des qualités du seul et unique vrai Dieu éternel.

13. Nous-mêmes, nous ne serions peut-être jamais venus dans ce pays des Juifs si nous n’avions entendu dire que cet unique vrai Dieu était présent d’une manière presque visible dans le Temple de Jérusalem, que Platon, en particulier, décrit dans son Symposion(*) , et que l’on pouvait s’unir en esprit à cet unique vrai Dieu !

(*) Le Banquet.

L’ensemble de mon peuple n’ignore pas cela, et sur cette base, il est fort possible de construire dignement !

14. À Jérusalem, je me serais bien sûr fait initier à toutes ces choses, et, si j’y avais trouvé quoi que ce soit qui me satisfît, je l’eusse aussitôt rapporté à mon peuple.

Mais nous sommes venus ici, c’est-à-dire au maître forgeron plutôt qu’à l’apprenti — ce qui, après tout ce que nous avons vécu, vu et entendu, ne fait plus le moindre doute —, et c’est là vraisemblablement un acte de grâce libéral et extraordinaire par lequel le Seigneur récompense notre bonne volonté authentique, dont nous ne voulons certes en aucun cas nous glorifier.

Mais nous aurons la tâche d’autant plus facile chez nous que l’aide divine que nous avons vérifiée ici nous sera entièrement acquise en toute occasion !

15. Ma très chère fille, nous ne cherchions pas tout ce que nous avons trouvé, loin de là. Si nous avions seulement trouvé un peu plus que dans le Symposion de Platon, nous serions rentrés chez nous déjà infiniment satisfaits. Que dire à présent que nous avons trouvé ce que Platon n’eût jamais imaginé dans son Symposion ?!

Maintenant, nous pouvons rentrer chez nous pleins d’allégresse et proclamer hautement devant les peuples étonnés tout ce que nous avons vécu, vu et entendu dans notre quête ! Je dois vous dire que je m’en réjouis déjà de tout mon cœur !

16. Aussi ne comprends-je toujours pas, Hélène, comment tu as pu concevoir la moindre crainte à ce sujet !

17. Je n’en conteste certes pas absolument le bien-fondé ; cependant, cela vaut sans doute moins pour notre pays que pour les Juifs, chez qui, à présent que je les connais un peu mieux, je vois beaucoup de tromperie, de despotisme et de malveillance.

Oui, c’est bien là que ta crainte serait fondée, plutôt que chez mes agneaux de sujets ! — Qu’en penses-tu, Mathaël, mon très cher et très honoré fils ? »

18. Mathaël dit : « Je suis tout à fait de ton avis ; car il se passe aujourd’hui au Temple de Jérusalem des choses si monstrueuses qu’il serait fort audacieux d’y faire paraître cette doctrine !

Dans ce Temple, où il est vrai que l’esprit de Yahvé était jadis visiblement présent dans le Saint des Saints, règne tout ce qu’il y a de plus mauvais et de plus méchant ; il n’y a plus là aucune trace réelle de quoi que ce soit de divin, mais uniquement des noms vides de sens !

Et les prêtres sont des loups et des hyènes déguisés en agneaux. Un jour que nous serons entre nous, j’aurai bien des choses à vous conter là-dessus, puisque j’ai moi-même appartenu au Temple !

Mais laissons cela pour le moment ; car il y a ici de bien meilleurs sujets de conversation que le Temple de Jérusalem, qui ne connaît désormais plus aucun Dieu !

19. Il faut maintenant que j’importune encore ma très chère Jarah ; car elle recèle en elle d’autres secrets dont nous ne connaissons pas encore le premier mot ! Jarah, conte-nous donc quelques-unes des choses que tu as vécues. » GEJ3 CH125 Chapitre premier (retour-du-christ.fr)

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