1. Après cette démonstration de satisfaction du vieux Marc, ainsi que de quelques autres qui l’ont écouté, Hélène remarque que s’élève très haut dans le ciel une flamme d’une si extraordinaire clarté que toute la contrée en est éclairée comme en plein jour ; Cyrénius remarque lui aussi cette flamme qui monte du centre de la ville, et qui devient toujours plus claire et toujours plus haute.
2. Or, la nuit, toute lumière a la propriété trompeuse, pour un homme ignorant des lois de l’optique, de paraître se rapprocher constamment à mesure qu’elle devient plus grande et plus claire, tout en demeurant toujours à la même place.
Les petits enfants le montrent lorsque, comme il arrive bien souvent, ils tendent les bras vers la pleine lune qui, à cause de sa clarté, leur paraît toute proche, et c’est pour la même raison que les chiens aboient souvent après elle.
3. Ainsi Hélène croyait-elle de même que la flamme, toujours plus grande et plus claire, se rapprochait de nous, aussi Me supplia-t-elle d’ordonner à cette méchante flamme de ne plus s’approcher et de ne pas nous faire de mal.
4. Je dis alors : « Ne soyez pas si puérils ! L’impression que la flamme se rapproche n’est qu’une illusion d’optique fort commune ; quant à la clarté de cette flamme, elle provient de ceci : dans le grand palais où demeure le supérieur des Pharisiens juifs, le feu a pénétré dans les immenses garde-manger.
Dans ceux-ci étaient conservés dans des fûts scellés près de cent demi-quintaux d’huile très pure et très fine, ainsi que plusieurs fûts du naphte le plus pur servant à éclairer le palais, et il y avait aussi à proximité une grosse réserve de beurre, de lait et de miel.
Ce sont toutes ces choses qui ont pris feu et brûlent à présent avec une si belle flamme très claire, et à cette occasion, comme tu le souhaitais tout à l’heure en secret, vieux Marc, les poissons de ta dîme sont en train de griller joliment ; car il y avait dans ces vastes garde-manger une quantité de mets déjà tout préparés pour demain. — Que dis-tu de cela, Marc ? »
5. Marc dit : « Seigneur, Toi qui vois dans mon cœur aussi bien et aussi clairement que dans les grands garde-manger du chef des Pharisiens, Tu sais que je ne suis pas et n’ai jamais été homme à me réjouir du malheur d’autrui.
Lorsque j’étais soldat, je faisais certes strictement mon devoir, mais je n’ai jamais nui de mon plein gré à un homme qu’il n’eût déjà été condamné par la loi — ce contre quoi je ne pouvais bien sûr rien faire. Et je n’éprouvais alors jamais la moindre joie quand la rigueur de la loi engloutissait cet homme.
De même, dans le cas présent, le malheur en soi ne réjouit pas particulièrement mon cœur, ni que mes beaux et bons poissons ne grillent qu’au profit des esprits aériens, mais ce qui me cause une vraie joie, c’est que ces tourmenteurs invétérés des hommes reçoivent enfin de toutes parts une fort bonne leçon !
6. Car l’anéantissement de leurs trésors par le feu serait encore peu de chose ; mais que par là la croyance dans leur enseignement soit elle aussi totalement anéantie, c’est là pour eux le véritable préjudice irréparable, et en même temps le plus grand bénéfice pour le peuple abusé.
Car, à coup sûr, les yeux et les oreilles de ce peuple seront désormais tout disposés à recevoir la pure vérité divine, et c’est là ce qui me réjouit tout particulièrement.
Et qui sait, il se peut même que les prêtres sinistrés, s’ils n’ont pas la tête et le cœur trop bornés, soient désormais plus accessibles à la vérité qu’ils ne l’eussent été, pourvus de toutes leurs richesses. Je crois que demain nous fera vivre plus d’une expérience mémorable ! —
Dis-moi si je me trompe, ô Seigneur, et si une telle joie est par hasard condamnable à Tes yeux. »
7. Je dis : « Oh, nullement ; car si Je n’avais eu cette même raison pour laisser survenir ce dont tu te réjouis si profondément, tu n’aurais pas vu le faux soleil et cet incendie n’aurait pas eu lieu. Cependant, tu as bien éprouvé au début un soupçon de joie maligne, parce que tu en voulais aux Pharisiens à cause de la dureté et de l’immoralité de la dîme. Et c’est précisément ce que Je t’ai un peu expliqué tout à l’heure, et la raison pour laquelle tu auras demain à nourrir plusieurs des prêtres sinistrés ; cela ne sera d’ailleurs pas à ton détriment !
8. Vois-tu, un homme juste et accompli doit être parfait dans tous ses sentiments, ses pensées et ses actes, sinon, il est loin d’être prêt pour le royaume céleste de Dieu !
9. Prenons l’exemple d’un homme vraiment brutal qui transgresse délibérément les règles du bon ordre de la société humaine, qui soit véritablement le rebut de toute civilité honnête, bref, un gaillard tout à fait digne d’être un frère de Satan. Longtemps, cet homme se livre impunément aux pires méchancetés ; car on ne peut s’emparer de lui, parce que sa ruse purement satanique le protège. Combien d’hommes n’ont pas de vœu plus cher que de voir le bras vengeur de la justice se saisir au plus vite de ce coquin !
10. Enfin, la justice parvient à mettre la main sur l’audacieux fripon, lui demande raison et lui inflige le châtiment sévère et douloureux qu’il mérite depuis longtemps. Tous, petits et grands, se réjouissent de voir le coquin subir enfin le châtiment tant mérité ; oui, il se trouvera même en cette occasion de fort honnêtes hommes pour regretter que la loi ne leur permette pas de se faire eux-mêmes les bourreaux du criminel haï, afin de pouvoir tourmenter tout leur soûl ce rebut de la société !
11. Pourtant, un cœur pur, mais aussi une raison également pure, doit se demander si une telle joie sied à un homme parfait ! Et le cœur pur et la raison pure répondront à coup sûr :
“Je me réjouis sans doute que les hommes tourmentés des années durant par un coquin soient enfin délivrés de ce monstre et puissent à nouveau vivre en paix ; mais ma joie eût été bien plus grande si ce monstre avait reconnu sa méchanceté, l’avait regrettée, s’était ainsi amendé et, devenant un homme utile, s’était efforcé autant que possible de réparer les dommages causés !”
12. Dites-Moi quel sentiment vous plaît le mieux : le premier, la joie du malheur d’autrui, ou le second, qui s’accompagne d’un désir pur et véritablement humain ? »
13. Marc dit : « Il n’y a pas là de choix possible ; car seul le second sied à des êtres humains, et le premier, à mon sens, est encore bien trop grossier, égoïste et bestial ! » GEJ3 CH117 Chapitre premier (retour-du-christ.fr)