Rocle s’efforce de justifier les « mensonges pieux »

1. Rocle dit : « Tout ce que Tu viens de dire, ô Seigneur, n’est que trop vrai, et il n’y a rien à répondre à cela !

Mais si Tu T’opposes rigoureusement à tout ce qui présente la plus légère apparence de tromperie, même lorsque cela pourrait sauver un homme matériellement et spirituellement, cela me donne naturellement fort à réfléchir, moi qui suis convaincu de ce principe, mille fois confirmé par l’expérience, selon lequel il n’est possible de venir en aide à bien des hommes qu’au moyen d’une subtile tromperie — et je n’appelle donc pas cela tromperie, mais simplement sagesse politique.

2. Véritablement, Seigneur, mon expérience sur cette terre m’a montré que, bien souvent, il n’y avait pas d’autre moyen de venir en aide à un homme qu’une petite supercherie bien intentionnée ! N’est-on pas toujours contraint, au début, de tromper les enfants, si l’on veut faire d’eux quelque chose ? Quel bien leur ferait-on en les mettant d’emblée en face de la vérité ?!

En une précédente occasion, je T’ai déjà expliqué très clairement que j’étais un homme qui n’avait jamais cherché à tromper un autre homme pour lui nuire, mais au contraire toujours pour l’avantager de quelque manière !

Et quand je faisais cela, c’était uniquement parce que je prévoyais très clairement qu’il n’y aurait pas d’autre moyen de venir à bout de tel ou tel homme. Si cela aussi est péché à Tes yeux, alors, ô Seigneur, il doit vraiment être bien difficile d’être homme !

3. Supposons par exemple que, me rendant quelque part, moi qui suis un païen, je rencontre en chemin un aveugle, et que cet aveugle soit un Juif convaincu, dont le zèle fanatique envers le Temple décèle en tout un chacun toute une légion des pires diables.

Qu’un homme qu’il sait être païen le touche, et le voilà aussitôt impur pour toute une année et, selon sa conception, l’homme le plus malheureux du monde, parce qu’il ne peut plus avoir sa part des multiples bienfaits du Temple.

Si, à supposer qu’il me questionne, je lui réponds que je suis un païen, il préférera subir mille martyres plutôt que de me laisser l’aider à franchir un passage particulièrement dangereux de cette route de montagne.

Mais si je lui affirme avec conviction que je suis un Juif de Jérusalem, il me donnera la main avec joie et se laissera guider le long de ce passage périlleux avec la plus grande reconnaissance du monde.

Et une fois que j’aurai conduit le pauvre aveugle jusqu’à un point d’où, sentant sa contrée natale toute proche, il pourra continuer sans danger et sans plus aucun risque de s’égarer, je prendrai congé de lui et poursuivrai ma route d’un cœur joyeux.

Le Juif aveugle n’aura plus jamais affaire à moi de sa vie, et nul ne lui dira que l’homme qui l’aida ce jour-là à franchir ce périlleux passage était un païen.

4. Dis-moi donc, à moi qui suis un homme de bon sens et réellement bien intentionné, si ce mensonge assurément parfaitement inoffensif n’était pas plus intelligent et meilleur que de dire à ce pauvre homme la vérité, à savoir que je suis un païen !

Je Te le dis mille fois en face, à Toi comme à n’importe qui, seul un fou bilieux au cerveau tout à fait malade, et qui appartiendrait à la pire corporation de Pharisiens, pourrait déclarer péché un aussi pieux mensonge — mais en aucun cas un homme tant soit peu raisonnable, et encore bien moins un Dieu !

Car il est impossible que la vie soit conçue en ce monde et dans l’autre de manières si extraordinairement différentes que l’on doive, dès qu’on est pur esprit, considérer que ce que tout le bon sens de cette terre reconnaît comme étant bon et juste est exactement le contraire !

Car si ce qu’une âme d’une constante bonne volonté juge blanc et lumineux ici-bas est noir et obscur pour le pur esprit de l’au-delà, il faut que l’une des deux vies, celle-ci ou celle de l’au-delà, soit tout simplement digne d’une maison de fous !

5. Seigneur, Toi qui connais toute ma vie depuis le berceau, Tu auras bien du mal à y trouver un seul instant où j’ai entretenu une mauvaise intention envers un homme, voire souhaité lui faire le plus petit tort ! Je veux bien être mille fois maudit par Ta bouche divine et toute-puissante si Tu peux me démontrer cela !

Mais si je suis pourtant coupable pour avoir souvent dû, hélas, user de politique, surtout avec des gens à l’esprit faible, afin de pouvoir leur faire quelque bien selon l’impulsion de mon cœur et selon mon entendement humain, alors, je dois Te confesser qu’il m’est fort désagréable d’être homme ; aussi, change-moi plutôt en âne, ô Seigneur, et je T’en serai reconnaissant !

6. À mon idée, qui n’est bien sûr que d’un bon sens humain, si un homme fait ce que ses connaissances, son jugement et sa conscience lui présentent comme la meilleure chose à faire, s’il est pacifique et miséricordieux, s’il fait du bien, selon ses forces, aux pauvres et aux malheureux,

même un Dieu doit considérer et reconnaître ses actes comme bons et justes, et Dieu ne devrait pas demander à un homme qui est indubitablement Sa créature et Son œuvre davantage que ne lui permettent les qualités qu’il a Lui-même placées en lui !

Ou se peut-il que Dieu, dans Sa sagesse parfaite, soit en droit d’exiger de Son œuvre davantage qu’il n’a mis en elle ? Ce devrait être bien difficile, il me semble, un peu comme si un homme voulait à toute force tirer dix seaux d’eau d’un récipient qui en contiendrait à peine un.

C’est pourquoi, ô Seigneur, je Te supplie de T’expliquer un peu plus clairement à ce sujet ; car selon ce que je crois avoir compris de Tes précédentes paroles, il ne serait plus possible d’exister sur cette terre d’une manière tant soit peu raisonnablement humaine !

7. Oui, la vérité est sacrée et doit appartenir aux hommes ; il faut qu’ils connaissent au mieux, avec son ordonnance et sa justice, la maison où ils demeurent et où, en vérité, selon Ta promesse, ils devraient demeurer éternellement.

Mais, du moins à ce qu’il me semble, la vérité toute nue, si pure soit-elle, est un peu comme un remède sans doute salutaire, mais si amer que n’importe quel estomac un peu sensible le rejette, à peine il lui parvient.

Que fait-on en pareil cas ? On enrobe l’amer remède de quelque substance sucrée et agréable, le malade peut alors l’absorber sans peine et sans que son estomac en devienne fébrile, et ses effets salutaires se font bientôt sentir !

Or, je crois qu’il devrait également en être ainsi lorsqu’on enseigne une vérité ! Au commencement surtout, il faudrait ne jamais la donner autrement que voilée, et ne la dévoiler que progressivement.

C’est ainsi, selon moi, qu’elle aura toujours les meilleurs effets. Mais si, d’emblée, on la dévoile entièrement, bien souvent, l’on fera à la grande majorité des hommes plus de mal que de bien.

8. Ce que j’en dis n’est pas dans le but d’embellir nos miracles matériels, car je suis moi-même tout à fait convaincu que c’était là se hasarder un peu trop loin ; cependant, je puis ajouter en toute bonne conscience qu’à notre connaissance certaine, nous n’avons jamais fait de mal à quiconque, mais bien rendu service, et plutôt deux fois qu’une.

Tout d’abord, nous avons ainsi séché les larmes de parents par trop affligés, ce qui ne peut assurément être mal, et ensuite, nous avons pourvu au mieux pour toute leur vie terrestre des enfants de parents effroyablement misérables, les mettant en mesure de recevoir chez des gens riches une bonne éducation conforme aux meilleures mœurs qui soient dans le monde présent,

alors que sans cela, ne recevant aucune éducation dans leur grande misère, ils seraient devenus en grandissant de véritables animaux sous forme humaine, ce dont on voit maints exemples à notre époque.

Car nul ange ne descend d’un ciel glorieux pour se charger de l’instruction de ces pauvres êtres à peine humains ; et si, en toute conscience et en toute honnêteté, nous faisons à l’évidence de notre mieux pour venir en aide à des gens honnêtes et instruits, nous courons le danger d’être pécheurs devant Dieu, et qu’il dise que nous trompons les hommes !

9. Seigneur et Maître, il T’est facile de donner des leçons, Toi dont la volonté régit l’infini tout entier ! Mais nous, faibles hommes qui ne sommes rien comparés à Toi, nous n’en ressentons que le poids et jamais, ou bien rarement, le soulagement, et, par-dessus le marché, nos espérances sont bien compromises pour l’au-delà.

10. Seigneur et Maître, en vérité, Tes enseignements m’avaient fort encouragé jusqu’ici, et je me sentais rempli des plus heureuses espérances ; mais à présent, je tombe de tout mon haut et suis sans recours, puisque Tu exiges de moi des choses que mon bon sens ne peut comprendre — et pourtant, je ne saurais agir contre lui ! »

11. Là dessus, Rocle se tait et ne dit plus mot. GEJ5 CH138  untitled (retour-du-christ.fr)

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