1. L’hôte court vers sa hutte avec sa femme et ses enfants déjà adultes, mais il revient aussitôt et, plein d’allégresse et de reconnaissance, dit d’un ton joyeux : « Lequel d’entre vous a donc fait cela en secret ?
Mon cellier est si heureusement rempli que nous avons tous à manger pour une année entière ! Oui, à présent, vous pourriez même rester un an sans venir à bout de toutes ces réserves !
Mais où avions-nous les yeux, moi et les miens, pour qu’aucun de nous ne vous ait vu porter dans mon cellier toute cette nourriture ?!
Ah, nous n’allons pas nous contenter de poisson bouilli sans sel, à présent que nous avons du sel en quantité ! Mais mettons-nous au travail ! »
2. Comme tous les gens de ce petit village retournaient à leurs huttes pour le repas de midi, Je dis aux douze : « Que pensez-vous des gens d’ici ? »
3. Pierre dit : « Que peut-on en penser, en vérité ! Ils semblent fort honnêtes, mais ils sont pauvres et n’y peuvent rien. Le métier de pêcheur et un sol pierreux n’ont jamais enrichi personne, comme mes nombreuses années d’expérience me l’ont démontré clairement. Il en va de même pour les pêcheurs de cette baie, qui est peut-être la plus mal lotie de toute cette mer. Leurs huttes sont certes bâties sur le roc ; mais sur un tel sol, il ne pousse souvent pas le moindre brin d’herbe. Comment pourraient-ils s’enrichir ?
4. Il leur faut donc bien rester honnêtes ; car il n’y a rien à dérober et encore moins à piller dans cette contrée. Si c’est l’occasion qui fait le larron ou le bandit de grand chemin, ces gens seront bien forcés de rester honnêtes toute leur vie, car le proverbe ne s’appliquera jamais à eux ! —
Telle est mon opinion sur ces gens, qui, à coup sûr, ne sont pas des docteurs de la loi et ne comptent aucun Pharisien parmi eux. »
5. Je dis : « Ton jugement est fort juste pour ce monde ; mais derrière la situation terrestre d’un homme, il y a aussi, comme vous l’avez déjà appris de bien des manières, un état de l’âme et en fin de compte de l’esprit. Que penses-tu de ces gens à cet égard ? »
6. Pierre hausse les épaules et dit : « Seigneur, il est bien difficile de se faire par soi-même une opinion définitive là-dessus !
Mais, dans la mesure où ce sont des gens très simples et par nécessité fort honnêtes, il me semble qu’ils devraient pour le moins offrir un sol fertile pour des semailles spirituelles !
Car, de même qu’il est plus facile de faire un habit seyant pour un corps bien constitué que pour un estropié ou un bossu,
ces âmes simples et naturellement pures doivent mieux épouser un vêtement spirituel que les âmes infirmes et racornies des Pharisiens et des docteurs de la loi. Je crois que si l’on trouvait une bonne occasion de parler à ces gens du royaume de Dieu sur terre, ils comprendraient bien vite de quoi il retourne. —
Encore une fois, c’est là l’opinion qui me vient naturellement ; mais, bien qu’exprimée sans grandes paroles, elle ne doit pas être trop loin du compte !»
7. Je dis : « C’est fort bien jugé ; aussi verrons-nous plus tard à les sonder pour savoir dans quelle mesure ils sont accessibles aux choses supérieures. Cependant, ce n’est pas Moi qui apparaîtrai ici comme un maître, mais vous-mêmes, en tant qu’envoyés et disciples du sage de Nazareth.
Quand ils vous auront écoutés et auront reçu votre parole sur la venue du royaume de Dieu sur terre, alors seulement, vous pourrez Me désigner à eux et leur dire que Je suis Celui que vous leur aviez annoncé.
8. Et nous accomplirons ainsi une grande œuvre dans ce petit village, apparemment l’un des plus misérables de la terre ! Cependant, vous ne devez pas croire que la tâche sera si aisée ; car ces gens ont beau paraître fort simples, ils sont intérieurement fort complexes, et de plus dans une grande confusion.
9. Ils se considèrent comme des philosophes et sont plongés jusqu’au cou dans ce stoïcisme qui est la chose la plus difficile à combattre.
Si Je vous ai conduits ici, c’est précisément afin de vous fournir l’occasion, puisque vous avez beaucoup gagné, chez le vieux Marc, en véritable sagesse intérieure, de vous essayer sur des hommes de cette sorte.
10. Mais, Je vous en avertis, il faudra rassembler vos forces !
Car, plus qu’à quiconque, il est difficile de donner une loi à un homme que n’effraient pas les pires désagréments de l’existence, pas même la mort physique la plus douloureuse, et à qui même les plus grandes joies de l’existence ne sont rien.
Et nous avons précisément affaire ici à de tels héros pour qui rien n’a d’importance, mais qui, en outre, n’estiment d’autre vertu que celle d’avoir aussi peu de besoins que possible, et qui ne vivent et n’agissent que pour cette seule raison que la nature, qui est pour eux tout ce qui existe, les a fait naître.
11, Nous n’avons encore jamais eu affaire à des gens de leur sorte, aussi s’agit-il de bien se concentrer ! Peu de paroles — et aucune qui ne soit fondée !
L’avantage avec ces gens est que, malgré tout leur stoïcisme, ils ont une grande curiosité et n’estiment un homme que pour ce qu’il sait. —
Mais notre hôte revient déjà avec les siens, et il nous apporte des poissons et du pain dans une corbeille. Nous mangerons donc ici, à l’ombre de cet arbre. »
12. Là-dessus, le pêcheur arrive avec sa femme et ses enfants, et ils déposent la corbeille devant nous.
13. En posant la corbeille, le pêcheur dit : « Amis inconnus, voici le repas demandé ! Quant aux tables, bancs, chaises, plats et autres instruments utiles pour manger, nous n’en avons point, et satisfaisons d’ailleurs fort bien sans eux nos faibles besoins.
De plus, nos moyens ont toujours été bien trop réduits pour que nous possédions quoi que ce soit de superflu.
Nous ne mangeons que lorsque nous avons très faim, et pour cela, une corbeille et nos mains suffisent ; le reste va de soi ! Je vous souhaite un bon appétit pour ce simple repas. » GEJ5 CH173 untitled (retour-du-christ.fr)
