Sur la foi qui fait des miracles

1. Je dis au pêcheur : « Aziona, puisque tu as chez toi une cruche neuve, fais-la remplir d’eau et apporter ici ! »

2. À cette apostrophe, Aziona ouvre de grands yeux et dit avec étonnement : « Tu peux certes avoir entendu mon nom quelque part — mais comment peux-tu savoir que je possède une cruche neuve, qui est en vérité ma principale richesse ? Mes voisins eux-mêmes l’ignorent, et toi, un parfait étranger, tu le sais ?

Ah, avec ta permission, je trouve que tout cela tourne vraiment au merveilleux ! L’un de mes enfants t’aurait-il parlé en secret de cette cruche ?

Elle n’a d’ailleurs en soi pas plus d’importance que cela — c’est une cruche en pierre comme des milliers d’autres dans ce pays —, mais ce qui en a, c’est que tu saches que je garde chez moi cette cruche neuve ! »

3. Je dis : « Même cela ne veut rien dire, car l’on peut toujours apprendre de telles choses ! Il importe davantage que tu satisfasses Ma demande, car Je suis assoiffé ! »

4. Aziona s’en va aussitôt et rapporte la cruche pleine d’eau fraîche. Cette cruche, qui était très grande, contenait bien la valeur d’un quart de seau, et il fallait la soulever pour la porter à sa bouche. Quand la cruche pleine fut posée devant nous sur une pierre plate, Je bénis l’eau, qui se changea en vin.

5. Ayant bu, Je tendis la cruche aux disciples, et, quand ils eurent bu, Je la rendis à Aziona en disant : « Bois à ton tour, afin de connaître toi aussi le goût de l’eau que tu nous as apportée dans ta cruche neuve ! »

6. Aziona dit : « Serait-elle mauvaise et corrompue ?! J’ai pourtant lavé trois fois la cruche à grande eau, et ma source donne l’eau la meilleure et la plus pure de tout le village !

Mais je vais la goûter, au cas où la nouvelle cruche lui aurait donné un mauvais goût !» II la goûte, en boit plusieurs fois à grands traits et dit enfin, tout surpris : « Qu’est-ce que c’est encore que cette sorcellerie ?! Ce n’est pas de l’eau, mais du vin, et le meilleur que j’aie jamais bu !

Ah, dis-moi comment vous avez fait cela ! Changer de l’eau en vin, c’est une chose parfaitement inouïe !

En vérité, vous n’êtes pas des Galiléens, mais des Égyptiens ou des Perses, car il n’y a jamais eu chez les Juifs de magiciens capables de faire avec de l’eau le meilleur des vins ! Oh, dites-moi comment cela se peut, et je suis prêt à être votre esclave pour vingt ans ! »

7. Jean, à qui J’avais fait signe de parler, dit : « Mon ami, pour cela, il suffit de vouloir avec la foi la plus ferme !

Celui qui possède une foi telle qu’elle ne laisse place à aucun doute peut même dire à cette haute montagne : “Lève-toi et jette-toi dans le lac!”, et il arrivera ce qu’il a cru et dit ! Voilà toute l’explication et le véritable moyen de faire de telles choses ! Et il est impossible de t’en donner un autre, parce qu’il n’en existe aucun. »

8. Aziona écarquille encore davantage les yeux et dit : « Ami, je ne sais pas du tout ce qu’est la foi, comment pourrais-je donc croire à quelque chose ?

 Qu’est-ce donc que vous appelez “croire” ? »

9. Jean dit : « Si nous avons devant nous un homme parfaitement véridique, s’il nous dit telle et telle chose dont nous n’avions jamais entendu parler jusque-là, et que nous admettons qu’il dit toute la vérité et ne doutons d’aucune de ses paroles,

alors, nous croyons ce que dit cet homme très véridique ; et puisque ce que nous croyons est assurément l’entière vérité, nous mettrons en pratique ce que nous croyons : voilà ce qu’est la foi merveilleusement agissante, à qui rien n’est impossible de ce qui se trouve dans le domaine de la vérité qu’elle exprime, et qui doit toujours se réaliser. —

Comprends-tu maintenant ce qu’est la foi ? »

10. Aziona dit : « Je le comprendrais sans doute — mais comment savoir que celui qui me donne une chose à croire est effectivement un homme tout à fait véridique ?

Il serait peu sensé de croire qu’il l’est simplement parce qu’il en a l’air, et cela traduirait une coupable crédulité, à mon sens bien pire que de ne rien croire du tout !

Comment fait-on donc pour savoir si l’homme que l’on doit et que l’on voudrait croire est parfaitement véridique, et que l’on peut accorder foi sans le moindre doute à tout ce qui sort de sa bouche ? »

11. Jean dit : « Avec un peu de bonne volonté, n’importe qui a assez de bon sens pour soumettre son homme à l’examen adéquat ; car seul un imbécile peut acheter chat en poche !

Tu me demandes par quel moyen l’éprouver, et tu viens de me l’appliquer toi-même ! Je suis bien convaincu par avance que tu n’achèterais pas chat en poche ! »

12. Aziona : « Oui, ami, tout cela est fort vrai et bon, et, en vérité, un homme n’a pas d’autre moyen que son entendement pour examiner ce qui l’entoure ; mais où est la mesure qui me fera d’abord connaître que mon entendement est lui-même assez grand et subtil pour examiner ce qui m’entoure ?»

13. Jean dit : « C’est bien là le point le plus délicat ! Celui qui croit posséder un entendement parfaitement lucide en fait rarement quelque chose ; mais celui qui comprend que son entendement est encore bien imparfait l’exercera, et sera bientôt capable de juger avec une grande finesse de tout ce qui existe et arrive autour de lui !

14. Une grande intelligence dont on se glorifie est pareil à la cime d’une montagne qui s’élève à des hauteurs vertigineuses : plus elle monte dans les airs, plus elle est fréquemment enveloppée de nuages et de brumes.

Pour ce qui est de la taille et de l’aspect, la petite pointe d’une aiguille à coudre n’est presque rien ; mais elle traverse tout, et, avec elle, on pourrait assembler assez de nattes pour recouvrir du haut en bas les plus hautes cimes. —

Mais les hautes cimes orgueilleuses n’assembleront à coup sûr jamais le moindre vêtement !

15. C’est là sans doute une comparaison un peu extrême ; pourtant, elle décrit fort justement le rapport existant entre la raison qui se croit plus grande et plus sage que tout et celle qui, pleine d’humilité, ne se manifeste pas aux yeux des grands sages et philosophes de ce monde.

Tandis que la raison supérieure vise très haut dans les airs et, malgré la netteté de son regard, est rapidement environnée d’épaisses nuées, une raison humble fait toujours de son mieux, et chaque nouvelle tâche la rend plus lucide, plus subtile et plus apte à affronter la suivante.

Il me semble que la raison est chez vous fort semblable aux cimes des plus hautes montagnes, qui sont rarement dégagées,

et c’est pourquoi tu dois éprouver quelque peine à reconnaître l’entière bonne foi d’un homme lorsqu’il te dit une chose dont tu devrais admettre sans le moindre doute la parfaite vérité ! — Qu’en penses-tu ? »

GEJ5 CH174  untitled (retour-du-christ.fr)

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